COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL GÉNÉRAL

Cours écrit par O. CAMY
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Plan détaillé du cours


   


La souveraineté

 




1. Notion d'autorité souveraine
Notion complexe, d'origine ancienne qui a des effets en droit constitutionnel mais aussi en droit international.

A Origine
La notion d'autorité souveraine a sans doute une origine en partie théologique, notamment chrétienne. Cette origine divine de la souveraineté se manifeste par ses caractères extraordinaires : autorité absolue, indivisible, incommunicable, suprême... etc. Caractères qui ont été conservés pour qualifier la souveraineté non plus de Dieu mais du peuple ou de la Nation à partir de la Révolution française. Cf. Art 1er Constitution 1791 Titre III art. 1 « La Souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la Nation... ».
a) Sous l'Ancien Régime en France
Il est clair à cette époque que la Souveraineté appartient non pas à tel individu, tel corps mais à Dieu seul. Elle est d'essence divine. Les textes les plus souvent cités sont les suivants : Ancien Testament (Livre de la sagesse) « C'est par moi que règnent les lois », Nouveau Testament, St Jean « Dieu est le souverain des rois de la terre ».
Le roi qui est à l'image de Dieu tire la force de son autorité de celle de Dieu. Si le roi est appelé le souverain, c'est seulement en tant qu'il est le dépositaire de l';autorité souveraine et non parce qu'il en est le titulaire.
Bodin, un des plus grands théoriciens de la souveraineté dans les Six livres de la République (1576) reprend le thème de l'imitation de Dieu pour caractériser l'autorité souveraine. Cette autorité insiste-t-il est indivisible (il n'y pas de « parties de la souveraineté »), absolue (elle est au dessus des lois puisqu'elle les fait) ou encore perpétuelle. Il va ainsi fixer les attributs de la souveraineté. Mais son principal apport, un apport dangereux consiste à associer Souveraineté et République (ou État), expliquant que la Souveraineté donne sa puissance, son être à la République. Il appartient aux organes d'État d'exercer cette autorité quasi surnaturelle. [Loyseau, Des Seigneuries, 1608 sera encore plus étatiste en définissant la souveraineté comme « la propre seigneurie de l'Etat »]. Le risque devient grand alors que l'Etat se proclame le souverain ou que le souverain s'identifie à l'Etat.
C'est ce qui va se passer très vite. Les juristes ne tarderont pas à parler d'État souverain ; de son côté le roi expliquera : « l'Etat, c'est moi » (Formule apocryphe de Louis XIV).
b) A partir du XVIIIe siècle
Les philosophes des Lumières et les révolutionnaires notamment français n'ont pas une conception de la Souveraineté très différente. Rousseau par exemple insistera sur le caractère indivisible et inaliénable de la souveraineté qui selon lui est affaire non pas de puissance mais de liberté. L'Etat passif ne fait que transmettre la souveraineté. La différence essentielle par rapport à l'AR, c'est évidemment que pour les penseurs modernes, le titulaire de la souveraineté n'est plus Dieu mais la Nation ou le peuple.


B Signification
Au sens strict, la souveraineté (Souveränität en allemand) est une autorité suprême. Celui qui est titulaire de la souveraineté, le souverain (Herscher) n'a donc pas d'autorité au dessus de lui ; sa compétence ne relève d'aucune autorité supérieure. En conséquence, le souverain est complètement libre ou indépendant.
Cette liberté ou indépendance se manifeste en droit constitutionnel : le peuple français est ainsi libre de se donner la législation qu'il souhaite, de réviser sa Constitution (voire de l'enfreindre selon certains juristes) et en droit international : ainsi, l'Etat français en tant qu'il exerce l'autorité souveraine du peuple français bénéficie d'une parfaite égalité juridique par rapport aux autres États.
Bodin avait compris très tôt les avantages politiques de l'idée de suprématie de l'autorité souveraine. Il avait pu ainsi légitimer, raffermir l'autorité du roi de France par rapport aux grands seigneurs féodaux sur un plan interne, par rapport aux autres autorités temporelles (telles l'Empereur du saint Empire Romain germanique, le Pape) sur le plan externe. Le roi n'obéit qu'à lui-même expliquait-il, il est en de même du peuple français aujourd'hui.
On comprend pour des raisons logiques qui seront explicitées par Rousseau que si l'autorité souveraine est suprême, elle est aussi indivisible et inaliénable. Je ne peux prétendre à la foi être en situation de suprématie et avoir cédé une partie de mon autorité à un autre. Cela reviendrait à promettre d'obéir à un autre...
La souveraineté se concentre en une seule fonction essentielle, la fonction normative : celle de « faire les lois » (Bodin, Rousseau, Montesquieu).
Nota : on entend aussi quelquefois par souveraineté un ensemble de pouvoirs que le souverain exerce ou peut faire exercer. Par exemple, le pouvoir de battre monnaie, rendre la justice... Mais il ne s'agit pas de souveraineté au sens strict. Il s'agit seulement de compétences étatiques, dites compétences régaliennes qui fonde la puissance de l'Etat et peuvent être cédées. Entendue de ce point de vue, la souveraineté est divisible (Grotius, Barbeyrac, Burlamaqui...)

C Critique
La notion de souveraineté recèle une difficulté d'ordre logique évidente. Elle suppose que la compétence du souverain procède d'elle-même, d'où son absence de limitations. Le souverain pourrait ainsi créer du droit ex nihilo (à partir de rien), c'est-à-dire à partir du fait. Or en droit, toute compétence doit être justifiée par une norme juridique qui doit être justifiée par une autre norme juridique et ainsi de suite... Pour qu'il y ait du droit, il faut qu'il y ait déjà du droit. Comme en pratique, il est impossible de justifier de façon ultime un ordre juridique, l'idée de souveraineté permet de manière fictive d'admettre le passage du fait au droit.


2. Les théories de l'autorité souveraine
C'est seulement à partir du XVIIIe siècle, notamment en France que la souveraineté a fait l'objet de tentatives doctrinales pour la théoriser. On peut cependant admettre l'existence sous l'Ancien Régime d'une « théorie » du droit divin de la souveraineté qui se dégage de l'opinion commune de nombreux penseurs. Théorie combattue pas les démocrates au XVIIIe siècle. Enfin, au XIXe siècle naissent deux véritables théories de la souveraineté dont les effets juridiques ne doivent pas être cependant surestimés.


A la théorie du droit divin
C'est une conception religieuse. L'origine de la Souveraineté est en Dieu qui en confie seulement l'exercice aux hommes. Ce qui est conforme à la position chrétienne (mais aussi à la position musulmane) : St Paul « Toute puissance vient de Dieu ». Il appartient aux hommes de choisir qui parmi eux pourra utiliser l'autorité souveraine.
La royauté traditionnellement se justifie en France par le fait que la Nation aurait choisi le Roi. Comme la souveraineté est d'essence divine, la Nation n'a pu la confier au Roi. Elle a seulement pu décider qu'elle devrait être exercée par le roi. Mais à partir du XVII ème siècle, les partisans de l'absolutisme finiront par nier à la Nation son rôle de transmission. Ce qui évidemment conduit à affranchir le roi de tout contrôle populaire. Mais il reste soumis aux lois divines.


B la théorie démocratique de la souveraineté
Avec la Révolution française, l'origine de la souveraineté devient démocratique. Art. 3 Déclaration de 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ». Le titulaire de la Souveraineté est la Nation ou le Peuple. On emploie indifféremment les termes de Nation et de Peuple dans les premières Constitutions révolutionnaires. La Nation ou le Peuple désigne ainsi en 1791 l'ensemble des citoyens actifs (qui peuvent voter).
La logique démocratique ainsi créée produit des effets juridiques et politiques considérables : l'instauration du suffrage universel qui est prévu dans la Constitution de 1793 (dans les limites de l'époque : les femmes ne sont pas concernées), la fin de la royauté (ce qui n'exclut pas le maintien d'un régime monarchique encore en 1791). Des revendications plus radicales, celles des Sans culottes sont légitimées : le droit donné au peuple de sanctionner les lois (c'est-à-dire de la dicter aux députés), le droit à l'insurrection (qui sera affirmé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793 §33), etc.


C les théories de la souveraineté nationale et populaire
Il est d'usage aujourd'hui de distinguer entre peuple et Nation, entre deux types de souveraineté, populaire et nationale. C'est en fait à partir de la Restauration que l'on a commencé à distinguer rigoureusement entre les deux notions de peuple et de Nation et qu'on a construit deux théories antagonistes de la Souveraineté dont on tire des conséquences juridiques opposées.
a) Souveraineté nationale : elle appartient à la Nation considérée comme une entité abstraite, éternelle, distincte des individus vivants ou morts qui la composent. Conséquences :
- nécessité de la représentation : la Nation étant abstraite doit être représentée par des individus concrets qui font entendre la voix de la Nation.
- suffrage-fonction : les individus concrets n'étant pas titulaires de la souveraineté n'ont pas vocation à l'exercer. Ainsi, ils n'ont pas nécessairement le droit de vote. Le suffrage restreint est légitime. Le vote devient une simple fonction qui doit être confiée aux citoyens les plus « éclairés ».
b) Souveraineté populaire : elle appartient au Peuple considéré comme une entité concrète ; chaque individu détient un fragment de cette souveraineté. Conséquences :
- rejet de la représentation : le Peuple étant titulaire de la souveraineté doit l'exercer directement ou indirectement à travers des intermédiaires qui ont un mandat impératif.
- suffrage-droit : les individus souverains doivent pouvoir tous voter : le vote est un droit. Le suffrage universel est une nécessité.
Les partisans de la souveraineté populaire qui prétendent (à tort) s'appuyer sur Rousseau se retrouveront plutôt à gauche de l'échiquier politique. Les partisans de la souveraineté nationale, sont plutôt à droite de l'échiquier politique. Un compromis assez rhétorique entre ces deux théories a été trouvé sous la IVème puis la Vème République à travers une même formule utilisée dans un même article 3 de la Constitution de 1946 et 1958 : « la souveraineté nationale appartient au peuple ». Mais comme le montrent certains auteurs (M. Troper), il est vraisemblable que les partisans des deux conceptions n'ont jamais adhéré à toutes leurs conséquences de façon rigoureuse. Ces schémas ne rendent donc pas compte de la réalité historique. Il faut prendre chaque Constitution comme un cas particulier puisque chacune peut appliquer ou refuser certaines conséquences propres à ces théories.

D Critique
En réalité, le souverain en tant qu'il permet le passage du fait au droit, qu'il « est ce qu'il doit être » selon la formule de Rousseau assume une tâche impossible logiquement. Il ne saurait donc avoir d'existence véritable en droit. Voilà pourquoi les théories du droit divin, de la souveraineté nationale en refusant d'identifier concrètement le souverain sont les plus pertinentes. Les révolutionnaires de 1789 de ce point de vue avaient trouvé une formule adéquate dans l'art. 3 de la Déclaration : « le principe de toute souveraineté réside dans la Nation » . Il n'y a donc pas de véritable créateur de la loi ex nihilo. Seuls des organes agissant au nom du Souverain ou le représentant peuvent légitimement élaborer la loi, notamment constitutionnelle. Et lorsque le peuple est consulté par exemple pour l'élaboration d'une loi constitutionnelle, il agit au nom du Peuple souverain comme entité fictive.


 



3. Rapports entre Etat et souveraineté
Les théoriciens révolutionnaires du droit constitutionnel au XVIIIe siècle ont essayé de distinguer soigneusement entre l'autorité souveraine et les organes d'Etat. Selon eux, l'État n'est pas le titulaire réel de la souveraineté. Le souverain est bien le Peuple ou la Nation dont la volonté est une, indivisible, intransmissible. L'Etat ne fait que donner force, effectivité à cette volonté. Il en est ainsi pour Rousseau selon lequel le Peuple est seul détenteur de l'autorité souveraine (la « Volonté générale ») ; les pouvoirs de l'Etat ne sont que des « émanations » de cette autorité.
Les conséquences :
- Si c'est le peuple ou la Nation qui sont le souverain, alors l'État ne peut parler ou agir qu'au nom du Peuple et de la Nation. Il ne peut s'identifier à eux. Dès lors l'État trouve toujours une limite interne à son action.
- Si la volonté souveraine est indivisible et inaliénable, il n'est pas de même du pouvoir d'Etat qui peut être partagé et cédé en partie.
Les Etats totalitaires au XXe siècle n'ont pas retenu la leçon de Rousseau : ils ont confondu souveraineté et pouvoir d'Etat. Par exemple, l'État fasciste italien était un État dans lequel l'État incarné par son chef non seulement exerçait la souveraineté mais prétendait être le souverain.

4. Critique
La notion de souveraineté au sens strict recèle une difficulté d’ordre logique évidente. Elle suppose que la compétence du souverain procède d’elle-même, d’où son absence de limitations. Le souverain pourrait ainsi créer librement du droit ex nihilo (à partir de rien), c’est-à-dire à partir du fait. Il aurait notamment un pouvoir constituant originaire. Or, selon le droit positif compris le plus souvent comme un droit normatif, toute compétence doit être justifiée par une norme juridique qui doit être justifiée par une autre norme et ainsi de suite... Pour qu’il y ait du droit, il faut qu’il y ait déjà du droit. Comme en pratique, il est impossible de justifier de façon ultime un ordre juridique, apparaît une difficulté qui semble insoluble. 

Le paradoxe de la souveraineté est le suivant : le souverain a bien une existence juridique puisqu’il est la source du droit mais le droit positif ne peut justifier son existence. Ce paradoxe s'éclaire si on admet que la souveraineté est auctoritas (Autorité). Celui qui est souverain n'a pas une autorité justifiée par une norme de droit positif (sauf à admettre une norme de droit naturel "invisible" ou inconnue pour le droit positif). Car l'autorité n'est pas affaire de normes... 

Le souverain est fondateur du droit, de l'Etat et ne se justifie que par lui-même au plan du droit positif. Le souverain « est ce qu’il doit être » selon la formule de Rousseau. L'identification du souverain et l'organisation de son pouvoir ne relève pas du droit positif. 

De ce point de vue, les théories du droit divin, de la souveraineté nationale en refusant d’identifier concrètement le souverain sont les plus pertinentes. De leur côté, les révolutionnaires de 1789 avaient trouvé une formule adéquate dans l’art. 3 de la Déclaration : « le principe de toute souveraineté réside dans la Nation ». Dans notre système de souveraineté prévu par l’article 3, seuls des organes agissant au nom du Souverain ou le représentant peuvent légitimement et effectivement élaborer la loi, notamment constitutionnelle. Et lorsque le peuple intervient par exemple pour l’élaboration d’une loi constitutionnelle, on doit considérer qu’il agit au nom de la Nation souveraine.

Compléments :

la souveraineté en 1958 en France

historique France