La pratique sous la Ve République
La pratique révèle à la fois la grande utilisation et la faible utilité
pratique de la motion de censure, dans la mesure où une seule fut
adoptée depuis 1958.
Ainsi, le 5 octobre 1962, pour protester contre la décision du général
de Gaulle de soumettre à référendum la révision constitutionnelle
prévoyant l’élection au suffrage universel direct du président de la
République, selon la procédure de l’article 11 de la Constitution et
non selon celle de l’article 89, 280 députés sur 480 adoptent une
motion de censure spontanée. Le Premier ministre, Georges Pompidou,
présente alors la démission de son Gouvernement. Le général de Gaulle
dissout l’Assemblée nationale le 9 octobre. Les élections législatives
se traduisent par une large victoire gaulliste et Georges Pompidou est
chargé de former le nouveau Gouvernement.
Aucune autre motion de censure n’a plus atteint la majorité
constitutionnelle. Ceci ne signifie pas que l’instrument ne fut pas
utilisé. L’opposition a toujours déposé des motions de censure, sans se
faire d’illusion sur le résultat final, mais afin d’acter au cours d’un
débat parlementaire son désaccord avec la politique suivie par le
Gouvernement et sa majorité. En 1992, le Gouvernement de Pierre
Bérégovoy évita de quelques voix d’être renversé par une majorité
composite de députés de droite et de députés communistes. Il y avait eu
un précédent lors de la motion de censure déposée en mai 1968.
Les députés n’ont pas non plus manqué de déposer des motions de censure
après l’utilisation de l’article 49.3 par un Gouvernement, afin de
dénoncer l’occultation du débat parlementaire (le 49.3 arrête toute
discussion), et de mettre en avant leurs arguments contre le texte
proposé.
rappel :
La Constitution de 1958 a prévu deux types de motions de censure : la
motion de censure spontanée ou offensive (art. 49 al. 2) et la motion
de censure provoquée (art. 49 al. 3).
La motion de censure spontanée résulte de la seule initiative des
députés. Elle se distingue des interpellations des Républiques
précédentes, provoquées par un seul parlementaire, car elle doit être
le fruit d’une volonté collective, afin de rendre plus difficile le
renversement du Gouvernement. Son dépôt nécessite ainsi la signature du
dixième des membres de l’Assemblée nationale, soit 58 députés
aujourd’hui. Depuis la réforme de 1995 instaurant la session unique,
aucun député ne peut signer plus de trois motions de censure au cours
de la session ordinaire et plus d’une au cours d’une session
extraordinaire (auparavant, ils étaient limités à une au cours d’une
même session).
Quarante-huit heures séparent le dépôt de la motion de censure de sa
discussion. Ce délai a pour raison d’être de permettre au Gouvernement
de convaincre d’éventuels indécis, et aux députés de se prononcer dans
la sérénité. Le Règlement de l’Assemblée nationale précise que le débat
et le vote ne peuvent avoir lieu plus de trois jours de séance après
l’échéance de ces 48 heures. Cette disposition permet d’éviter que la
motion ne soit jamais inscrite à l’ordre du jour.
La motion de censure doit réunir les voix de la majorité absolue des
membres composant l’Assemblée nationale, soit aujourd’hui 289 voix.
Cette condition se justifie pour éviter qu’une majorité simple, liée à
des abstentions massives ne permette, comme ce fut le cas sous les
Républiques précédentes, de renverser un Gouvernement. Seules les voix
"pour" comptent donc. Les députés qui s’abstiennent ou ne prennent pas
part au vote sont réputés soutenir le Gouvernement. En cas d’adoption
d’une motion de censure, le Premier ministre doit remettre au Président
de la République la démission de son Gouvernement (art. 50 de la
Constitution).
La motion de censure provoquée résulte, à l’origine, de la décision du
Premier ministre d’engager la responsabilité du Gouvernement devant
l’Assemblée nationale sur tout ou partie d’un texte. Ce dernier est
alors réputé adopté sans débat, sauf si une motion de censure, déposée
dans les vingt-quatre heures, est votée. Celle-ci requiert, comme la
précédente, la signature d’un dixième des membres de l’Assemblée (un
député peut cette fois en signer autant qu’il veut au cours d’une
session). Elle est alors discutée et votée comme la motion de censure
spontanée. Son adoption – cas qui ne s’est jamais produit depuis 1958 –
entraîne la démission du Gouvernement et le rejet du texte sur lequel
il avait engagé sa responsabilité. Depuis la loi constitutionnelle de
juillet 2008, l’usage de l’article 49 alinéa 3 est limité à un projet
ou une proposition de loi par session, sans compter cette possibilité
pour les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale.