Un dispositif qui permettrait la destitution du chef de l'Etat
LE MONDE | 24.06.03 | 13h12 ¥ MIS A JOUR LE
24.06.03 | 16h43
Le projet de la Chancellerie donne aux parlementaires le
pouvoir de renverser le prŽsident.
Mise en dŽfaut par la vague des "affaires", ballottŽe au grŽ des dŽcisions du
Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, la rgle n'Žtait claire
qu'en apparence : "Le prŽsident de la RŽpublique, dispose le texte de la Constitution, n'est
responsable des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions qu'en cas de
haute trahison." Impraticable
dans les faits, faute de dŽfinition prŽcise, l'incrimination qui fonda la
condamnation, en 1945, du marŽchal PŽtain, est la seule faute dont le chef de
l'Etat puisse avoir ˆ rŽpondre durant ses fonctions, puisqu'il ne peut tre
poursuivi en justice tant que dure son mandat.
InspirŽ du rapport de la commission Avril, le projet de rŽvision
constitutionnelle supprime cette notion et Žlargit le spectre de la
responsabilitŽ prŽsidentielle.
* L'immunitŽ
du chef de l'Etat est
nŽanmoins rŽaffirmŽe pour les actes directement liŽs ˆ l'exercice de ses
fonctions. La nouvelle rŽdaction de l'article 67 avancŽe par le projet de
la chancellerie prŽcise notamment que le prŽsident "n'est pas
responsable des actes accomplis en cette qualitŽ", sauf dans le cadre de la compŽtence
de la Cour pŽnale internationale (CPI) et, on le verra, dans les cas
d'atteintes portŽes ˆ ses propres fonctions.
A cette immunitŽ s'ajoute l'"inviolabilitŽ", qui proscrit expressŽment tout acte
judiciaire ˆ l'encontre du chef de l'Etat : celui-ci, poursuit
l'article 67, "ne peut, durant son mandat et devant aucune
juridiction ou autoritŽ administrative franaises, tre requis de tŽmoigner non
plus que faire l'objet d'un acte d'information, d'instruction ou de
poursuite". Ainsi
se trouverait notamment consacrŽe - si la rŽvision devait tre adoptŽe - la
jurisprudence de la Cour de cassation, qui renvoie le dŽroulement des
procŽdures judiciaires au terme du mandat prŽsidentiel.
* La
procŽdure de destitution
appara”t, elle, comme la contrepartie des protections dŽvolues au chef de
l'Etat. Les travaux des experts rŽunis autour du professeur Pierre Avril ont
conduit ˆ l'Žmergence de cette solution, prŽsentŽe par le constitutionnaliste
comme une "soupape de sžretŽ". Ainsi, la nouvelle rŽdaction proposŽe
de l'article 68 dispose que "le prŽsident de la RŽpublique ne peut tre
destituŽ qu'en cas de manquement ˆ ses devoirs manifestement incompatible avec
l'exercice de son mandat".
La dŽfinition de tels "manquements" n'est pas, au fond, davantage prŽcisŽe
que ne l'Žtait celle de la "haute trahison", mais cette disposition atteste la
volontŽ de prŽserver la fonction prŽsidentielle et non la personne qui
l'occupe. "C'est l'incompatibilitŽ avec la poursuite du mandat et elle
seule que la sanction doit rŽsoudre par la destitution", expliquait le rapport de
M. Avril. Ainsi, les faits reprochŽs au chef de l'Etat peuvent aussi bien
tre pŽnalement qualifiables qu'a priori exempts de tout reproche
judiciaire : des propos outranciers, un comportement personnel scandaleux,
une situation de conflit d'intŽrts involontaire, voire le refus de signer une
loi ou une ordonnance (comme Charles Pasqua l'avait suggŽrŽ, en 1986, contre
Franois Mitterrand), pourrait ainsi motiver l'engagement de la procŽdure de
mise en cause du prŽsident.
* Le
parlement a la ma”trise de
cette procŽdure de bout en bout, mais elle est encadrŽe par des dŽlais Žtroits.
La mise en cause du prŽsident doit tre lancŽe par l'AssemblŽe ou le SŽnat, sur
le vote d'une rŽsolution. Si l'autre assemblŽe adopte le mme texte, qui lui
est automatiquement soumis et sur lequel elle doit se prononcer "dans
les quinze jours",
la "Haute Cour" est considŽrŽe comme officiellement saisie ; cette nouvelle
instance se substitue, dans le projet gouvernemental, ˆ l'actuelle Haute Cour
de justice et n'est plus composŽe, ˆ l'inverse de celle-ci, de parlementaires
Žlus ˆ cette fin mais de l'ensemble des dŽputŽs et sŽnateurs. Ce sont eux qui
votent, en dŽfinitive - et ˆ bulletins secrets - la destitution. Ils sont tenus
de procŽder ˆ un vote dans un dŽlai de deux mois.
Le Conseil d'Etat a amendŽ le texte d'origine afin que toutes ces
dŽcisions soient adoptŽes ˆ une majoritŽ qualifiŽe. L'"empchement" du prŽsident est officiel ds
l'instant o la Haute Cour est saisie. Le prŽsident du SŽnat assure alors
l'intŽrim, dans les mmes conditions que celles actuellement prŽvues en cas de
dŽmission ou de maladie du chef de l'Etat.
Si les parlementaires votent la destitution, leur dŽcision prend
immŽdiatement effet et une nouvelle Žlection prŽsidentielle est organisŽe. Rien
n'interdit, en thŽorie, au chef de l'Etat de se reprŽsenter aux scrutins des
Franais - afin de confronter l'opinion du peuple ˆ celle des parlementaires
qui l'auraient condamnŽ. DŽmis de ses fonctions, le prŽsident redevient
aussit™t un justiciable ordinaire, de sorte que les poursuites judiciaires
Žventuellement suspendues pourraient reprendre leur cours sans dŽlai.
HŽrvŽ Gattegno