SCIENCES PO
Premier cycle de Dijon
Institutions politiques comparées
1ère année
Dossier n°2
Etat et souveraineté
I Documents :
Thème 1 : la nature de l'État
Doc. 1 : "Les éléments constitutifs de l'Etat" par Carré
de Malberg in Théorie générale de l'Etat, CNRS,
1980.
Doc. 2 : arrêt du TA de Paris du 27 juin 2002, Fédération
nationale des déportés et internés, résistants
et patriotes.
Thème 2 : les types de souveraineté
Doc. 3 : document de synthèse sur les conceptions de la souveraineté
en France
Doc. 4 : définition de la souveraineté in "Comment la Constitution
de 1958 définit la souveraineté nationale ?" par M. Troper
(site web du Conseil constitutionnel)
Thème 3: souveraineté et traités
Doc. 5 : décision n°308 DC, MAASTRICHT 1 du 9 avril 1992.
Doc. 6 : « A propos de la décision du Conseil constitutionnel
du 31 déc. 1997 (Traité d'Amsterdam) » par Alain
PELLET (site web du Conseil constitutionnel)
II Définitions :
En vous aidant du cours, des manuels et dictionnaires juridiques, après
avoir analysé les documents fournis dans la fiche, définissez
: État, territoire, principe de continuité de l'État,
statocratie, souveraineté, puissance d'Etat, souveraineté
nationale, souveraineté populaire, transferts de souveraineté,
conditions essentielles d'exercice de la souveraineté.
III Exercices :
Déterminez les caractéristiques de l'Etat
Points communs et différences entre souveraineté nationale
et populaire.
Déterminez en quoi la conception « internationale »
de la souveraineté contredit la conception « interne »
de la souveraineté ?
IV Sujet de dissertation :
Les rapports entre État et souveraineté
Commentaire de l'article 3 de la Constitution française
Cours de M. Olivier CAMY
Doc. 3
LA SOUVERAINETE DANS LES CONSTITUTIONS DE LA FRANCE
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août
1789
ART.3 : le principe de toute souveraineté réside essentiellement
dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité
qui n'en émane expressément.
ART.6 : la loi est l'expression de la volonté générale.
Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs
représentants à sa formation.
Constitution du 3 septembre 1791
Titre III, article premier : la Souveraineté est une, indivisible,
inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la Nation
; aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s'en attribuer l'exercice.
Constitution du 24 juin 1793
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen :
Article 25 : la souveraineté réside dans le peuple ; elle est
une, indivisible, imprescriptible et inaliénable.
Article 26 : aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple
entier ; mais chaque section du souverain assemblée doit jouir du
droit d'exprimer sa volonté avec une entière liberté.
Constitution du 22 août 1795
Art.2 : l'universalité des citoyens français est le souverain.
Constitution du 4 novembre 1848 :
Chapitre premier, article premier : la souveraineté réside
dans l'universalité des citoyens français. Elle est inaliénable
et imprescriptible. Aucun individu, aucune fraction du peuple ne peut s'en
attribuer l'exercice.
Projet de Constitution du 19 avril 1946
Art.2 : le principe de toute souveraineté réside essentiellement
dans le peuple. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité
qui n'en n'émane expressément.
La loi est l'expression de la volonté nationale. Elle est la même
pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse, soit qu'elle
oblige.
Cette volonté s'exprime par les représentants élus du
peuple.
Constitution du 17 octobre 1946
Art.3 : la souveraineté nationale appartient au peuple français.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.
Le peuple l'exerce, en matière constitutionnelle, par le vote des
représentants et par le référendum.
En toutes autres matières, il l'exerce par ses députés
à l'Assemblée Nationale, élus au suffrage universel,
égal, direct et secret.
Constitution du 4 octobre 1958
Art.3 : la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce
par ses représentants et par la voie du référendum.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.
Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues
par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.
Sont électeurs, dans les conditions déterminées par
la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant
de leurs droits civils et politiques.
Doc.4
Comment la Constitution de 1958 définit la souveraineté nationale
?
Par Michel TROPER
LA SOUVERAINETÉ
Dans la langue juridique, les mots souverain et souveraineté ont plusieurs
sens. La souveraineté est d'abord la qualité d'un être
qui n'a pas de supérieur. En ce sens, la souveraineté est la
qualité d'un État, qui n'est soumis à aucune puissance
extérieure ou intérieure. La souveraineté du roi de
France signifiait ainsi qu'il n'était soumis ni au pape ni à
l'Empereur, ni aux nobles, ni à l'Église. Qu'un État
souverain puisse néanmoins être soumis au droit international
ne comporte nulle contradiction, parce que cette soumission résulte
seulement de sa propre volonté. On peut donc dire que la souveraineté
se définit par la soumission au seul droit international et qu'elle
comporte à l'intérieur le pouvoir de tout faire.
Dans un deuxième sens, la souveraineté est l'ensemble des pouvoirs
ou des compétences que peut exercer cet État. On appelle aussi
cet ensemble puissance d'État. Les pouvoirs peuvent être classés
par objet: l'État conduit des relations extérieures, il rend
la justice, il assure la direction de l'économie, l'éducation,
il redistribue les richesses, etc. Tout État n'exerce pas nécessairement
toutes ces tâches : un État converti au néolibéralisme
ne se mêlerait ni de la direction de l'économie, ni d'éducation.
Il peut aussi transférer certains de ces pouvoirs à des organisations
internationales, voire à d'autres États.
Mais l'État accomplit ces opérations en émettant des
normes (lois, décrets, sentences juridictionnelles,). La production
d'une catégorie de normes relève de l'une des fonctions juridiques
de l'État. La puissance d'État comprend donc les grandes fonctions
juridiques : législative, exécutive et juridictionnelle.
Cependant, comme les normes juridiques sont hiérarchisées,
les fonctions le sont aussi. D'où un troisième sens du mot
souveraineté. Le souverain est sans doute celui qui détient
la totalité de la puissance d'État, celui qui peut tout faire,
mais, en raison de la hiérarchie, le seul pouvoir d'adopter les normes
appartenant aux niveaux les plus élevés, la Constitution et
la loi, lui permet de déterminer indirectement le contenu des normes
de niveau inférieur. Dans un troisième sens, la souveraineté
est donc l'ensemble du pouvoir constituant et du pouvoir législatif.
L'article 3 de la Constitution désigne le titulaire de la souveraineté,
organise son exercice et implique son caractère inaliénable.
La souveraineté nationale appartient au peuple
qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.
Le titulaire de la souveraineté
La formule complexe de l'article 3 ne peut être comprise qu'à
la lumière de certaines dispositions de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen de 1789.
L'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme, qui dispose que
le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans
la nation,
établit une distinction fondamentale entre le principe ou l'essence
de la souveraineté et son exercice. En 1789 la nation est bien titulaire
de la souveraineté, mais seulement de son principe, mais elle ne peut
l'exercer elle-même. L'exercice de la souveraineté ne peut être
assuré que par des représentants et ce sont les représentants
qui, en adoptant la loi, expriment la volonté du souverain, appelée
aussi volonté générale., comme il est précisé
à l'article 6
la loi est l'expression de la volonté générale.
Voilà pourquoi sont représentants tous ceux qui exercent le
pouvoir législatif.
L'article 3 de la Constitution de 1958 diffère de la Déclaration
des droits de l'homme sur deux points:
a) tout d'abord, ce n'est plus la nation, mais le peuple, qui est désigné
comme le titulaire de la souveraineté. La doctrine juridique de la
IIIè République distinguait le peuple, l'universalité
des citoyens, donc un être réel capable d'exercer la souveraineté
et la nation, une entité abstraite construite par la Constitution
pour figurer l'intérêt supérieur du pays ou la continuité
des générations et par conséquent incapable, en raison
même de sa nature purement idéale, d'exercer la souveraineté.
La formule de la Constitution de 1958, reprise de la Constitution de 1946
permet donc au peuple d'assurer lui-même une partie de l'exercice de
la souveraineté.
b) ensuite, le peuple n'est pas titulaire de la souveraineté en vertu
d'une Déclaration des droits, mais de la Constitution elle-même.
Il n'est donc pas souverain par nature, mais seulement en conséquence
d'une habilitation reçue de la Constitution.
C'est d'ailleurs ce que signifie également la présence de deux
termes. En premier lieu, la souveraineté qui appartient au peuple
est la souveraineté nationale, ce qui implique qu'elle n'est pas n'est
pas une qualité naturelle, mais le produit d'une construction juridique.
D'autre part, alors qu'en 1789 la souveraineté réside dans
la nation, en 1958, elle appartient au peuple, qui détient donc une
sorte de propriété. Or, si la propriété est un
droit naturel, c'est seulement le droit positif qui peut déterminer
son objet. Ainsi, c'est bien la Constitution et la Constitution seule qui
fait du peuple le souverain. Comment peut-il l'exercer ?
L'exercice de la souveraineté
De ce que le peuple n'est titulaire de la souveraineté qu'en vertu
de la Constitution, il résulte qu'il ne peut l'exercer que conformément
à cette Constitution. C'est ainsi qu'il ne peut l'exercer directement
que dans les cas où la Constitution lui donne une compétence
explicite et seulement dans les formes prévues. Dans les autres cas,
il exerce sa souveraineté par ses représentants. La représentation
de la souveraineté ne découle pas de la nature de son titulaire,
qui est un être réel, capable par conséquent de l'exercer
lui-même, mais de la seule volonté du constituant.
Sous la IVè République, le peuple ne pouvait exercer la souveraineté
par la voie du référendum qu'en matière constitutionnelle.
Sous la Vè République, il l'exerce aussi sur d'autres points,
dans les conditions définies à l'article 11.
La souveraineté exercée par les représentants est la
souveraineté dans le troisième sens de ce terme. Il s'agit
du pouvoir constituant et du pouvoir législatif. Ceux qui produisent
les normes de niveau constitutionnel ou législatif sont réputés
exprimer non leur propre volonté, mais la volonté du souverain.
Ils le représentent. On voit par là que la compétence
de ces autorités ne provient pas de la représentation, mais
que, au contraire, la représentation est la justification de leur
compétence. Puisque la loi est l'expression de la volonté générale,
ceux qui expriment la volonté générale parce qu'ils
exercent le pouvoir législatif doivent être considérés
comme des représentants.
Dès lors, il n'y a aucun lien nécessaire entre représentation
et élection. Certains élus, qui ne contribuent pas à
l'expression de la volonté générale ne sont pas des
représentants. D'autres autorités, non élues mais qui
contribuent à l'expression de cette volonté, doivent être
appelées représentants. Ainsi, selon la Constitution de 1791,
les représentants étaient le corps législatif et le
roi, parce que tous deux concouraient à la formation de la loi. Conformément
à ce modèle, si l'on reconnaît que, selon la Constitution
actuelle, le Conseil constitutionnel participe au pouvoir législatif,
cette compétence ne peut être justifiée, dans un système
qui se proclame démocratique, que si l'on considère le Conseil
comme un représentant.
L'inaliénabilité de la souveraineté.
Que la souveraineté nationale appartienne au peuple interdit évidemment
à ses représentants de l'aliéner, notamment en la transférant
à des autorités étrangères ou à des organisations
internationales. Cependant une distinction a été opérée
par le Conseil constitutionnel entre les transferts de souveraineté,
interdits, et les limitations, autorisées par le préambule
de 1946,
sous réserve de réciprocité,
la France consent aux limitations de souveraineté
nécessaires à l'organisation et au maintien de la paix.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel a étendu cette possibilité
aux accords relatifs à la construction européenne et autorisé
certains transferts de compétence qui étaient des limitations
de souveraineté, mais non des transferts. Les transferts de compétence
autorisés sont ceux qui ne portent pas atteinte "aux conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale". Il est clair que la souveraineté
dans le premier et dans le troisième sens de ce terme ne peut pas
être limitée et qu'il est impossible d'en détacher des
compétences susceptibles d'être transférées. En
revanche, la puissance d'État se compose de compétences multiples
parmi lesquels il est possible de distinguer celles qui ne se rattachent
pas "aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale"
et qui peuvent par conséquent être transférées.
Quant aux autres, elles ne peuvent l'être, conformément à
l'article 54, qu'après révision de la Constitution.
Mais cette révision donne lieu à un paradoxe puisque la Constitution,
une fois modifiée, tout en proclamant que la souveraineté nationale
appartient au peuple, autorise néanmoins une atteinte à certaines
de ses "conditions essentielles d'exercice".
Doc. 6
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL, LA SOUVERAINETÉ ET LES TRAITÉS
À PROPOS DE LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 31 DÉCEMBRE
1997 (TRAITÉ D'AMSTERDAM)
Alain PELLET, Février
1998, Professeur à l'Université de Paris X-Nanterre et à
l'I.E.P. de Paris ; Membre de la Commission du Droit international des Nations
Unies
1. Le 31 décembre
1997, le Conseil constitutionel, à la suite d'une saisine conjointe
du Président de la République et du Premier Ministre, a constaté
la contrariété à la Constitution de certaines dispositions
des articles 73 J, 73 K et 73 O du Traité d'Amsterdam du 2 octobre
1997 modifiant le Traité sur l'Union européenne, les traités
instituant les Communautés européennes et certains actes connexes,
et décidé en conséquence que
"[l]'autorisation de ratifier en vertu d'une loi
le traité d'Amsterdam ne peut intervenir qu'après une révision
de la Constitution".
Bien qu'elle puisse
n'être pas dépourvue de conséquences pratiques et politiques
encore imprévisibles au moment où cette note est écrite,
cette décision, qui, pour l'essentiel, se borne à faire application
de la jurisprudence inaugurée par la décision du 9 avril
1992 relative au Traité de Maastricht, n'appelle pas, en elle-même,
de longs commentaires; son examen peut cependant être l'occasion de
tenter de faire le point sur un aspect de ce que l'on pourrait appeler la
"jurisprudence internationale" du Conseil constitutionnel.
2. Au prix d'une simplification
que l'on espère point trop abusive, on peut distinguer deux grandes
"branches" au sein de celle-ci, l'une "virtuelle" (qui supposerait que le
Conseil s'acquitte complètement de sa mission de Juge constitutionnel),
l'autre, bien réelle, et à laquelle se rattache la décision
"Amsterdam".
S'agissant de la première,
on aurait pu s'attendre à ce que le Conseil constitutionnel apprécie,
sur le fondement de l'article 55, la conformité de la loi elle-même
aux traités et accords régulièrement ratifiés
et approuvés, ce qu'il se refuse de faire, contre toute raison, en
vertu de la malheureuse jurisprudence "I.V.G." inaugurée par la décision
du 15 janvier 1975, dont les fondements juridiques sont intenables (le Juge
constitutionnel se refuse à faire respecter la disposition centrale
de la Constitution en matière de traités ou accords internationaux),
l'incohérence manifeste (avec la solution retenue par le Conseil eu
égard aux principes généraux du droit international
coutumier) et les effets pervers évidents (du fait que cette jurisprudence
conduit les juges du fond à controler la "conventionnalité"
de la loi, alors même qu'ils ne peuvent en apprécier la constitutionnalité,
ce qui revient, au mépris du texte de la Constitution à inventer
une hiérarchie para-constitutionnelle des sources du droit français).
En revanche, la seconde
branche de la jurisprudence internationale du Conseil, n'encourt pas ces
critiques: agissant, à titre préventif, en vertu des
articles 54 ou 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel se prononce
effectivement sur la compatibilité des engagements internationaux
de la France avec la Constitution. Pour ce faire, il a esquissé une
grille de lecture des engagements internationaux de la France à la
lumière de la Constitution qui, pour contestables qu'en puissent être
certains détails, ne se heurte certainement pas aux même objections.
3. La décision
du 31 décembre 1997 constitue le dernier, et estimable, avatar de
l'effort fait par le Conseil pour concilier, autant que faire se peut, des
dispositions constitutionnelles enigmatiques avec les exigences de la vie
internationale.
Mais elle ne peut
être lue isolément et ne présente d'intérêt
réel que dans la perspective de la décision rendue il y a cinq
ans sur le Traité relatif à l'Union européenne ("Maastricht
I"). Autant en effet la décision "Amsterdam" apparaît, malgré
l'attention médiatique dont elle a fait l'objet, comme une décision
d'application, peu contestable, sinon sur des points de détail, de
la jurisprudence "Maastricht I", autant cette dernière avait constitué
une mutation considérable, et passée quelque peu inaperçue,
par rapport aux positions antérieures du Conseil constitutionnel en
ce qui concerne à la fois la recherche d'un critère internationalement
acceptable de la notion équivoque de "limitations de souveraineté"
au sens du préambule de 1946 (I) et celle d'une définition
constitutionnellement efficace des "conditions essentielles d'exercice de
la souveraineté (II).
I. LA RECHERCHE D'UN
CRITÈRE INTERNATIONALEMENT ACCEPTABLE DES "LIMITATIONS DE SOUVERAINETÉ"
4. Quoique l'on puisse
penser de la jurisprudence "internationale" du Conseil, des contradictions
qui la marquent, de ses incohérences et, parfois, de son obscurantisme
chauvin, force est de reconnaître que l'ambiguïté des formules
constitutionnelles en la matière ne facilitent pas la tâche
à la Haute Juridiction.
Ceci est particulièrement
frappant s'agissant du concept même de souveraineté tel qu'il
transparaît dans les textes de valeur constitutionnelle en vigueur,
qui sont le résultat de strates successives, et qu'énumèrent
les premiers considérants de la décision du 31 décembre
1997, consacrées aux "normes de référence applicables".
Il s'agit, si l'on remet ces "normes" dans l'ordre chronologique de
leur adoption:
- de l'article 3 de
la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, auquel
renvoie le préambule
de la Constitution de 1958
- en même temps
qu'au préambule de la Constitution de 1946;
- de l'article 3 de
la Constitution actuelle;
- de l'article 53
de celle-ci; et
- de son article 88-1
"résultant de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992".
Mais il est loin d'être
certain et que ces formules constitutionnelles présentent la cohérence
et l'homogénéité que le Conseil semble leur prêter,
et que, par voie de conséquence, cet amalgame soit satisfaisant -
car il revient à marier la carpe et le lapin.
5. Juge constitutionnel,
le Conseil tient pour acquis que la notion "interne" de souveraineté,
telle qu'elle apparaît à l'article 3 de la Déclaration
de 1789 et à l'article 3 de la Constitution de 1958, et la définition
"externe" ou "internationale" de ce même concept, auxquels renvoient
le préambule de la Constitution de 1946 et, plus indirectement, les
articles 53, 54 et 88-1 de celle de la Cinquième République,
sont équivalentes. Rien n'est, cependant, moins évident.
C'est en effet oublier
que le droit interne (y compris sa branche constitutionnelle) et le droit
international répondent à deux logiques fondamentalement distinctes:
dans l'État, la souveraineté, qu'elle réside dans la
nation (Déclaration de 1789) ou qu'elle appartienne au peuple (Constitution
de 1958) (et en admettant que les deux formules soient compatibles...), est
une ; elle est concentrée dans les mains d'un seul organe ou d'un
seul corps; elle apparaît alors comme un pouvoir suprême, un
imperium, qui n'est, juridiquement au moins, concurrencé par aucun
autre et ne connaît ni supérieur, ni égaux.
Rien de tel dans l'ordre
international caractérisé par la juxtaposition de souverainetés
égales, détenues non pas par une nation, un peuple ou un État,
mais par quelque 190 États. Certes, les États souverains n'y
ont pas de "supérieurs", mais ils y sont tous égaux et, sauf
à nier l'existence même de la société internationale
et de son droit, la souveraineté, quelque définition précise
que l'on en donne, ne peut y être conçue que comme un concept
dont les conséquences sont limitées du fait, justement, de
la souveraineté égale appartenant à tous les autres
États. La souveraineté de chacun d'entre eux y est bornée
par celle, égale, de tous les autres.
Force est au Conseil
constitutionnel de se "faufiler" entre ces deux acceptions, difficilement
compatibles, de la souveraineté. Juridiction constitutionnelle, il
éprouve, de manière compréhensible, la tentation de
privilégier le concept constitutionnel, donc interne, de la souveraineté;
mais, dès lors que la Constitution, qui constitue son unique "norme
de référence", renvoie au droit international, il ne peut faire
complètement abstraction du concept international désigné
par le même vocable: "souveraineté".
6. Ces difficultés
sont aggravées par la rédaction, pour le moins contestable,
des dispositions de valeur constitutionnelle qui visent la "souveraineté"
dans son sens international et, d'abord, du quinzième alinéa
du préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel:
"Sous réserve
de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté
nécessaires à l'organisation et à la défense
de la paix".
Cette formule, quand
on y songe, véhicule une conception curieuse de la souveraineté.
Critère même
de l'État, la souveraineté -dans l'ordre international en tout
cas ne saurait ni se limiter, ni se partager, ni être décomposée.
Si l'on peut aventurer une image un peu triviale, on peut la comparer à
la virginité ; on l'a ou on ne l'a pas; mais elle n'est pas susceptible
de plus ou de moins. Une entité souveraine est un État, au
sens que le droit international contemporain donne
à ce terme; une entité qui est dépourvue de la souveraineté
ne l'est pas; une entité qui en est privée ne l'est plus.
Parler de "limitations
à la souveraineté" n'est donc guère rigoureux. Tout
ce que l'on peut admettre est que l'État peut limiter ou transférer
les compétences qu'il tient du droit international en vertu de sa
souveraineté, parce qu'il est souverain.
7. Implicitement,
c'est d'ailleurs ainsi que le Conseil constitutionnel interprète le
préambule de la Constitution de 1946: alors que celui-ci parle de
"limitations de souveraineté", le Conseil, après quelques flottements,
en est venu à exercer son contrôle sur la conformité
à la Constitution des "transferts de compétences" consentis
par la France en faveur d'organisations internationales et, d'abord, des
Communautés européennes.
C'est en cela que
réside la grande innovation, très positive, de la décision
"Maastricht I". Par un considérant intégralement reproduit
par la décision du 31 décembre 1997, le Conseil estime
"qu'il résulte
de ces textes de valeur constitutionnelle que le respect de la souveraineté
nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions
précitées du préambule de la Constitution de 1946, la
France puisse conclure, sous réserve de réciprocité,
des engagements internationaux en vue de participer à la création
ou au développement d'une organisation internationale permanente,
dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs
de décision par l'effet de transferts de compétences consentis
par les États membres".
Au regard du droit
international, la formule est infiniment plus satisfaisante que celle figurant
dans le préambule de 1946 ("limitations de souveraineté"),
même s'il est paradoxal de voir le Juge constitutionnel réécrire
la Constitution... Elle contraste aussi heureusement avec celles qui figuraient
dans les décisions antérieures du Conseil:
- "aucune disposition
de nature constitutionnelle n'autorise des transferts de tout ou partie de
la souveraineté nationale à quelque organisation internationale
que ce soit";
- "en raison des modalités
de son exercice, la procédure de poursuite transfrontalière
ne procède pas à un 'transfert de souveraineté'"
;
- "l'absence de référence
à une clause de retrait ne saurait constituer en elle-même un
abandon de souveraineté".
Sans formellement
remettre en cause la formulation malheureuse du préambule de 1946,
la révision constitutionnelle n'en consacre pas moins la relecture
faite par le Conseil puisque le nouvel article 88-2 ajouté à
la Constitution en cette occasion dispose :
"Sous réserve
de réciprocité, et selon les modalités prévues
par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février
1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires
à l'établissement de l'union européenne et monétaire
européenne ainsi qu'à la détermination des règles
relatives aux franchissements des frontières extérieures des
États membres de la Communauté européenne".
Dorénavant,
et la décision "Amsterdam" le confirme, le Conseil, conforté
dans sa démarche par le Constituant, s'attache donc à contrôler
la compatibilité non pas des "transferts" ou des "limitations" de
souveraineté réalisés par les engagements internationaux
de la France, ce qui n'a guère de sens au regard du droit international,
mais les transferts de compétence qui résultent des traités
ou accords conclus par la République.
8. La mesure de ce
contrôle n'est pas évidente.
Une première
solution aurait pu consister à voir dans le quinzième alinéa
du préambule de la Constitution de 1946 une "clause d'habilitation"
générale. Après tout, il n'est pas déraisonnable
d'interpréter la formule "... la France consent aux limitations de
souveraineté..." comme signifiant que ces "limitations de souveraineté",
assimilées à des "transferts de compétences", sont ipso
facto, et du fait même du préambule, conformes à la Constitution.
Dans ce cas, le contrôle exercé par le Conseil se serait limité
à déterminer si ces transferts ne revenaient pas à une
renonciation pure et simple à la souveraineté de la France
qui, du même coup, cesserait d'être un État souverain
au sens du droit international public et, dans tous les cas où il
n'en irait pas ainsi, à constater que ces transferts sont conformes
à la Constitution.
Une lecture isolée
du préambule de 1946 aurait dû conduire à une telle solution.
Le Conseil constitutionnel ne semble cependant jamais l'avoir envisagée
- et à juste titre car l'alinéa précité n'est
pas la seule norme de référence par rapport à laquelle
il doit se prononcer.
9. Il lui fallait
en effet concilier ce premier principe, maladroitement inspiré par
la définition de la
souveraineté prévalant dans l'ordre
international, avec les normes constitutionnelles de référence
orientées vers la définition interne de la souveraineté
et, plus particulièrement, avec l'article 3 de la Constitution: "La
souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants
et par la voie du référendum".
C'est pour opérer
cette conciliation que le Conseil a, dès 1970, forgé la notion
de "conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale",
opérant du même coup un glissement de la notion de souveraineté
(qui, on ne le répètera jamais assez, ne se "limite" pas plus
qu'elle ne se "divise") à ses modalités d'exercice.
Pour ce faire, la
Haute Juridiction doit, ici encore, s'éloigner de la lettre de la
Constitution - qui n'envisage nullement que la souveraineté est exercée
"essentiellement" par le peuple -, et chercher une voie moyenne entre une
conception absolue de la souveraineté (telle qu'elle prévaut
dans l'ordre interne) et les exigences de la vie internationale contemporaine
et, tout spécialement, de la construction communautaire, qui ne sauraient
s'accommoder de "l'exercice" exclusif de la souveraineté par le peuple/nation
(comme le Constituant de 1946 en avait eu la forte intuition, maladroitement
exprimée).
Encore fallait-il dégager les critères permettant de différencier
les "conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale"
de celles qui ne sont pas "essentielles". C'est à quoi s'emploie la
jurisprudence du Conseil depuis 1970; elle trouve son point d'aboutissement
actuel dans la décision du 31 décembre 1997.