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Premier cycle de Dijon

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Institutions politiques comparées
1ère année



Dossier n°2

Etat et souveraineté




I Documents :
Thème 1 : la nature de l'État
Doc. 1 : "Les éléments constitutifs de l'Etat" par Carré de Malberg in Théorie générale de l'Etat, CNRS, 1980.
Doc. 2 : arrêt du TA de Paris du 27 juin 2002, Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes.

Thème 2  : les types de souveraineté
Doc. 3 : document de synthèse sur les conceptions de la souveraineté en France
Doc. 4 : définition de la souveraineté in "Comment la Constitution de 1958 définit la souveraineté nationale ?" par M. Troper (site web du Conseil constitutionnel)

Thème 3: souveraineté et traités
Doc. 5 : décision n°308 DC, MAASTRICHT 1 du 9 avril 1992.
Doc. 6 : « A propos de la décision du Conseil constitutionnel du 31 déc. 1997 (Traité d'Amsterdam) » par Alain PELLET (site web du Conseil constitutionnel)

II Définitions :
En vous aidant du cours, des manuels et dictionnaires juridiques, après avoir analysé les documents fournis dans la fiche, définissez : État, territoire, principe de continuité de l'État, statocratie, souveraineté,  puissance d'Etat, souveraineté nationale, souveraineté populaire, transferts de souveraineté, conditions essentielles d'exercice de la souveraineté.

III Exercices :
Déterminez les caractéristiques de l'Etat
Points communs et différences entre souveraineté nationale et populaire.
Déterminez en quoi la conception « internationale » de la souveraineté contredit la conception « interne » de la souveraineté ?

IV Sujet de dissertation :

Les rapports entre État et souveraineté
Commentaire de l'article 3 de la Constitution française




Cours de M. Olivier CAMY





Doc. 3

LA SOUVERAINETE DANS LES CONSTITUTIONS DE LA FRANCE




Déclaration des droits de l'homme  et du citoyen du 26 août 1789
ART.3 : le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.
ART.6 : la loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation.

Constitution du 3 septembre 1791
Titre III, article premier : la Souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la Nation ; aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s'en attribuer l'exercice.

Constitution du 24 juin 1793 
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen :
Article 25 : la souveraineté réside dans le peuple ; elle est une, indivisible, imprescriptible et inaliénable.
Article 26 : aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier ; mais chaque section du souverain assemblée doit jouir du droit d'exprimer sa volonté avec une entière liberté.

Constitution du 22 août 1795
Art.2 : l'universalité des citoyens français est le souverain.

Constitution du 4 novembre 1848 :
Chapitre premier, article premier : la souveraineté réside dans l'universalité des citoyens français. Elle est inaliénable et imprescriptible. Aucun individu, aucune fraction du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice.

Projet de Constitution du 19 avril 1946
Art.2 : le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans le peuple. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en n'émane expressément.
La loi est l'expression de la volonté nationale. Elle est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse, soit qu'elle oblige.
Cette volonté s'exprime par les représentants élus du peuple.

Constitution du 17 octobre 1946
Art.3 : la souveraineté nationale appartient au peuple français.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.
Le peuple l'exerce, en matière constitutionnelle, par le vote des représentants et par le référendum.
En toutes autres matières, il l'exerce par ses députés à l'Assemblée Nationale, élus au suffrage universel, égal, direct et secret.

Constitution du 4 octobre 1958
Art.3 : la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.
Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.
Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques.





Doc.4


Comment la Constitution de 1958 définit la souveraineté nationale ?

Par  Michel TROPER



LA SOUVERAINETÉ


Dans la langue juridique, les mots souverain et souveraineté ont plusieurs sens. La souveraineté est d'abord la qualité d'un être qui n'a pas de supérieur. En ce sens, la souveraineté est la qualité d'un État, qui n'est soumis à aucune puissance extérieure ou intérieure. La souveraineté du roi de France signifiait ainsi qu'il n'était soumis ni au pape ni à l'Empereur, ni aux nobles, ni à l'Église. Qu'un État souverain puisse néanmoins être soumis au droit international ne comporte nulle contradiction, parce que cette soumission résulte seulement de sa propre volonté. On peut donc dire que la souveraineté se définit par la soumission au seul droit international et qu'elle comporte à l'intérieur le pouvoir de tout faire.

Dans un deuxième sens, la souveraineté est l'ensemble des pouvoirs ou des compétences que peut exercer cet État. On appelle aussi cet ensemble puissance d'État. Les pouvoirs peuvent être classés par objet: l'État conduit des relations extérieures, il rend la justice, il assure la direction de l'économie, l'éducation, il redistribue les richesses, etc. Tout État n'exerce pas nécessairement toutes ces tâches : un État converti au néolibéralisme ne se mêlerait ni de la direction de l'économie, ni d'éducation. Il peut aussi transférer certains de ces pouvoirs à des organisations internationales, voire à d'autres États.

Mais l'État accomplit ces opérations en émettant des normes (lois, décrets, sentences juridictionnelles,). La production d'une catégorie de normes relève de l'une des fonctions juridiques de l'État. La puissance d'État comprend donc les grandes fonctions juridiques : législative, exécutive et juridictionnelle.

Cependant, comme les normes juridiques sont hiérarchisées, les fonctions le sont aussi. D'où un troisième sens du mot souveraineté. Le souverain est sans doute celui qui détient la totalité de la puissance d'État, celui qui peut tout faire, mais, en raison de la hiérarchie, le seul pouvoir d'adopter les normes appartenant aux niveaux les plus élevés, la Constitution et la loi, lui permet de déterminer indirectement le contenu des normes de niveau inférieur. Dans un troisième sens, la souveraineté est donc l'ensemble du pouvoir constituant et du pouvoir législatif. L'article 3 de la Constitution désigne le titulaire de la souveraineté, organise son exercice et implique son caractère inaliénable.

La souveraineté nationale appartient au peuple
qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.


Le titulaire de la souveraineté

La formule complexe de l'article 3 ne peut être comprise qu'à la lumière de certaines dispositions de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

L'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme, qui dispose que

le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation,


établit une distinction fondamentale entre le principe ou l'essence de la souveraineté et son exercice. En 1789 la nation est bien titulaire de la souveraineté, mais seulement de son principe, mais elle ne peut l'exercer elle-même. L'exercice de la souveraineté ne peut être assuré que par des représentants et ce sont les représentants qui, en adoptant la loi, expriment la volonté du souverain, appelée aussi volonté générale., comme il est précisé à l'article 6

la loi est l'expression de la volonté générale.


Voilà pourquoi sont représentants tous ceux qui exercent le pouvoir législatif.

L'article 3 de la Constitution de 1958 diffère de la Déclaration des droits de l'homme sur deux points:

a) tout d'abord, ce n'est plus la nation, mais le peuple, qui est désigné comme le titulaire de la souveraineté. La doctrine juridique de la IIIè République distinguait le peuple, l'universalité des citoyens, donc un être réel capable d'exercer la souveraineté et la nation, une entité abstraite construite par la Constitution pour figurer l'intérêt supérieur du pays ou la continuité des générations et par conséquent incapable, en raison même de sa nature purement idéale, d'exercer la souveraineté. La formule de la Constitution de 1958, reprise de la Constitution de 1946 permet donc au peuple d'assurer lui-même une partie de l'exercice de la souveraineté.

b) ensuite, le peuple n'est pas titulaire de la souveraineté en vertu d'une Déclaration des droits, mais de la Constitution elle-même. Il n'est donc pas souverain par nature, mais seulement en conséquence d'une habilitation reçue de la Constitution.

C'est d'ailleurs ce que signifie également la présence de deux termes. En premier lieu, la souveraineté qui appartient au peuple est la souveraineté nationale, ce qui implique qu'elle n'est pas n'est pas une qualité naturelle, mais le produit d'une construction juridique. D'autre part, alors qu'en 1789 la souveraineté réside dans la nation, en 1958, elle appartient au peuple, qui détient donc une sorte de propriété. Or, si la propriété est un droit naturel, c'est seulement le droit positif qui peut déterminer son objet. Ainsi, c'est bien la Constitution et la Constitution seule qui fait du peuple le souverain. Comment peut-il l'exercer ?

L'exercice de la souveraineté

De ce que le peuple n'est titulaire de la souveraineté qu'en vertu de la Constitution, il résulte qu'il ne peut l'exercer que conformément à cette Constitution. C'est ainsi qu'il ne peut l'exercer directement que dans les cas où la Constitution lui donne une compétence explicite et seulement dans les formes prévues. Dans les autres cas, il exerce sa souveraineté par ses représentants. La représentation de la souveraineté ne découle pas de la nature de son titulaire, qui est un être réel, capable par conséquent de l'exercer lui-même, mais de la seule volonté du constituant.

Sous la IVè République, le peuple ne pouvait exercer la souveraineté par la voie du référendum qu'en matière constitutionnelle. Sous la Vè République, il l'exerce aussi sur d'autres points, dans les conditions définies à l'article 11.

La souveraineté exercée par les représentants est la souveraineté dans le troisième sens de ce terme. Il s'agit du pouvoir constituant et du pouvoir législatif. Ceux qui produisent les normes de niveau constitutionnel ou législatif sont réputés exprimer non leur propre volonté, mais la volonté du souverain. Ils le représentent. On voit par là que la compétence de ces autorités ne provient pas de la représentation, mais que, au contraire, la représentation est la justification de leur compétence. Puisque la loi est l'expression de la volonté générale, ceux qui expriment la volonté générale parce qu'ils exercent le pouvoir législatif doivent être considérés comme des représentants.

Dès lors, il n'y a aucun lien nécessaire entre représentation et élection. Certains élus, qui ne contribuent pas à l'expression de la volonté générale ne sont pas des représentants. D'autres autorités, non élues mais qui contribuent à l'expression de cette volonté, doivent être appelées représentants. Ainsi, selon la Constitution de 1791, les représentants étaient le corps législatif et le roi, parce que tous deux concouraient à la formation de la loi. Conformément à ce modèle, si l'on reconnaît que, selon la Constitution actuelle, le Conseil constitutionnel participe au pouvoir législatif, cette compétence ne peut être justifiée, dans un système qui se proclame démocratique, que si l'on considère le Conseil comme un représentant.

L'inaliénabilité de la souveraineté.

Que la souveraineté nationale appartienne au peuple interdit évidemment à ses représentants de l'aliéner, notamment en la transférant à des autorités étrangères ou à des organisations internationales. Cependant une distinction a été opérée par le Conseil constitutionnel entre les transferts de souveraineté, interdits, et les limitations, autorisées par le préambule de 1946,

sous réserve de réciprocité,
la France consent aux limitations de souveraineté
nécessaires à l'organisation et au maintien de la paix.


La jurisprudence du Conseil constitutionnel a étendu cette possibilité aux accords relatifs à la construction européenne et autorisé certains transferts de compétence qui étaient des limitations de souveraineté, mais non des transferts. Les transferts de compétence autorisés sont ceux qui ne portent pas atteinte "aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale". Il est clair que la souveraineté dans le premier et dans le troisième sens de ce terme ne peut pas être limitée et qu'il est impossible d'en détacher des compétences susceptibles d'être transférées. En revanche, la puissance d'État se compose de compétences multiples parmi lesquels il est possible de distinguer celles qui ne se rattachent pas "aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale" et qui peuvent par conséquent être transférées. Quant aux autres, elles ne peuvent l'être, conformément à l'article 54, qu'après révision de la Constitution.

Mais cette révision donne lieu à un paradoxe puisque la Constitution, une fois modifiée, tout en proclamant que la souveraineté nationale appartient au peuple, autorise néanmoins une atteinte à certaines de ses "conditions essentielles d'exercice".



Doc. 6


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL, LA SOUVERAINETÉ ET LES TRAITÉS

À PROPOS DE LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 31 DÉCEMBRE 1997 (TRAITÉ D'AMSTERDAM)

          Alain PELLET, Février 1998, Professeur à l'Université de Paris X-Nanterre et à l'I.E.P. de Paris ; Membre de la Commission du Droit international des Nations Unies

          

          1. Le 31 décembre 1997, le Conseil constitutionel, à la suite d'une saisine conjointe du Président de la République et du Premier Ministre, a constaté la contrariété à la Constitution de certaines dispositions des articles 73 J, 73 K et 73 O du Traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997 modifiant le Traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes, et décidé en conséquence que
     "[l]'autorisation de ratifier en vertu d'une loi le traité d'Amsterdam ne peut intervenir qu'après une révision de la Constitution".

          Bien qu'elle puisse n'être pas dépourvue de conséquences pratiques et politiques encore imprévisibles au moment où cette note est écrite, cette décision, qui, pour l'essentiel, se borne à faire application de la  jurisprudence inaugurée par la décision du 9 avril 1992 relative au Traité de Maastricht, n'appelle pas, en elle-même, de longs commentaires; son examen peut cependant être l'occasion de tenter de faire le point sur un aspect de ce que l'on pourrait appeler la "jurisprudence internationale" du Conseil constitutionnel.

          2. Au prix d'une simplification que l'on espère point trop abusive, on peut distinguer deux grandes "branches" au sein de celle-ci, l'une "virtuelle" (qui supposerait que le Conseil s'acquitte complètement de sa mission de Juge constitutionnel), l'autre, bien réelle, et à laquelle se rattache la décision "Amsterdam".

          S'agissant de la première, on aurait pu s'attendre à ce que le Conseil constitutionnel apprécie, sur le fondement de l'article 55, la conformité de la loi elle-même aux traités et accords régulièrement ratifiés et approuvés, ce qu'il se refuse de faire, contre toute raison, en vertu de la malheureuse jurisprudence "I.V.G." inaugurée par la décision du 15 janvier 1975, dont les fondements juridiques sont intenables (le Juge constitutionnel se refuse à faire respecter la disposition centrale de la Constitution en matière de traités ou accords internationaux), l'incohérence manifeste (avec la solution retenue par le Conseil eu égard aux principes généraux du droit international coutumier) et les effets pervers évidents (du fait que cette jurisprudence conduit les juges du fond à controler la "conventionnalité" de la loi, alors même qu'ils ne peuvent en apprécier la constitutionnalité, ce qui revient, au mépris du texte de la Constitution à inventer une hiérarchie para-constitutionnelle des sources du droit français).

          En revanche, la seconde branche de la jurisprudence internationale du Conseil, n'encourt pas ces critiques:  agissant, à titre préventif, en vertu des articles 54 ou 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel se prononce effectivement sur la compatibilité des engagements internationaux de la France avec la Constitution. Pour ce faire, il a esquissé une grille de lecture des engagements internationaux de la France à la lumière de la Constitution qui, pour contestables qu'en puissent être certains détails, ne se heurte certainement pas aux même objections.

          3. La décision du 31 décembre 1997 constitue le dernier, et estimable, avatar de l'effort fait par le Conseil pour concilier, autant que faire se peut, des dispositions constitutionnelles enigmatiques avec les exigences de la vie internationale.

          Mais elle ne peut être lue isolément et ne présente d'intérêt réel que dans la perspective de la décision rendue il y a cinq ans sur le Traité relatif à l'Union européenne ("Maastricht I"). Autant en effet la décision "Amsterdam" apparaît, malgré l'attention médiatique dont elle a fait l'objet, comme une décision d'application, peu contestable, sinon sur des points de détail, de la jurisprudence "Maastricht I", autant cette dernière avait constitué une mutation considérable, et passée quelque peu inaperçue, par rapport aux positions antérieures du Conseil constitutionnel en ce qui concerne à la fois la recherche d'un critère internationalement acceptable de la notion équivoque de "limitations de souveraineté" au sens du préambule de 1946 (I) et celle d'une définition constitutionnellement efficace des "conditions essentielles d'exercice de la souveraineté (II).

          I. LA RECHERCHE D'UN CRITÈRE INTERNATIONALEMENT ACCEPTABLE DES "LIMITATIONS DE SOUVERAINETÉ"

          4. Quoique l'on puisse penser de la jurisprudence "internationale" du Conseil, des contradictions qui la marquent, de ses incohérences et, parfois, de son obscurantisme chauvin, force est de reconnaître que l'ambiguïté des formules constitutionnelles en la matière ne facilitent pas la tâche à la Haute Juridiction.

          Ceci est particulièrement frappant s'agissant du concept même de souveraineté tel qu'il transparaît dans les textes de valeur constitutionnelle en vigueur, qui sont le résultat de strates successives, et qu'énumèrent les premiers considérants de la décision du 31 décembre 1997, consacrées aux "normes de référence applicables". Il  s'agit, si l'on remet ces "normes" dans l'ordre chronologique de leur adoption:

          - de l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, auquel renvoie le préambule
     de la Constitution de 1958

          - en même temps qu'au préambule de la Constitution de 1946;

          - de l'article 3 de la Constitution actuelle;

          - de l'article 53 de celle-ci; et

          - de son article 88-1 "résultant de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992".

          Mais il est loin d'être certain et que ces formules constitutionnelles présentent la cohérence et l'homogénéité que le Conseil semble leur prêter, et que, par voie de conséquence, cet amalgame soit satisfaisant - car il revient à  marier la carpe et le lapin.

          5. Juge constitutionnel, le Conseil tient pour acquis que la notion "interne" de souveraineté, telle qu'elle apparaît à l'article 3 de la Déclaration de 1789 et à l'article 3 de la Constitution de 1958, et la définition "externe" ou "internationale" de ce même concept, auxquels renvoient le préambule de la Constitution de 1946 et, plus indirectement, les articles 53, 54 et 88-1 de celle de la Cinquième République, sont équivalentes. Rien n'est, cependant, moins évident.

          C'est en effet oublier que le droit interne (y compris sa branche constitutionnelle) et le droit international répondent à deux logiques fondamentalement distinctes: dans l'État, la souveraineté, qu'elle réside dans la nation (Déclaration de 1789) ou qu'elle appartienne au peuple (Constitution de 1958) (et en admettant que les deux formules soient compatibles...), est une ; elle est concentrée dans les mains d'un seul organe ou d'un seul corps; elle apparaît alors comme un pouvoir suprême, un imperium, qui n'est, juridiquement au moins, concurrencé par aucun autre et ne connaît ni supérieur, ni égaux.

          Rien de tel dans l'ordre international caractérisé par la juxtaposition de souverainetés égales, détenues non pas par une nation, un peuple ou un État, mais par quelque 190 États. Certes, les États souverains n'y ont pas de "supérieurs", mais ils y sont tous égaux et, sauf à nier l'existence même de la société internationale et de son droit, la souveraineté, quelque définition précise que l'on en donne, ne peut y être conçue que comme un concept dont les conséquences sont limitées du fait, justement, de la souveraineté égale appartenant à tous les autres États. La souveraineté de chacun d'entre eux y est bornée par celle, égale, de tous les autres.

          Force est au Conseil constitutionnel de se "faufiler" entre ces deux acceptions, difficilement compatibles, de la souveraineté. Juridiction constitutionnelle, il éprouve, de manière compréhensible, la tentation de privilégier le concept constitutionnel, donc interne, de la souveraineté; mais, dès lors que la Constitution, qui constitue son unique "norme de référence", renvoie au droit international, il ne peut faire complètement abstraction du concept  international désigné par le même vocable: "souveraineté".

          6. Ces difficultés sont aggravées par la rédaction, pour le moins contestable, des dispositions de valeur constitutionnelle qui visent la "souveraineté" dans son sens international et, d'abord, du quinzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel:

          "Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix".

          Cette formule, quand on y songe, véhicule une conception curieuse de la souveraineté.

          Critère même de l'État, la souveraineté -dans l'ordre international en tout cas ne saurait ni se limiter, ni se partager, ni être décomposée. Si l'on peut aventurer une image un peu triviale, on peut la comparer à la virginité ; on l'a ou on ne l'a pas; mais elle n'est pas susceptible de plus ou de moins. Une entité souveraine est un État, au
     sens que le droit international contemporain donne à ce terme; une entité qui est dépourvue de la souveraineté ne  l'est pas; une entité qui en est privée ne l'est plus.

          Parler de "limitations à la souveraineté" n'est donc guère rigoureux. Tout ce que l'on peut admettre est que  l'État peut limiter ou transférer les compétences qu'il tient du droit international en vertu de sa souveraineté, parce qu'il est souverain.

          7. Implicitement, c'est d'ailleurs ainsi que le Conseil constitutionnel interprète le préambule de la Constitution de 1946: alors que celui-ci parle de "limitations de souveraineté", le Conseil, après quelques flottements, en est venu à exercer son contrôle sur la conformité à la Constitution des "transferts de compétences" consentis par la France en faveur d'organisations internationales et, d'abord, des Communautés européennes.

          C'est en cela que réside la grande innovation, très positive, de la décision "Maastricht I". Par un considérant intégralement reproduit par la décision du 31 décembre 1997, le Conseil estime

          "qu'il résulte de ces textes de valeur constitutionnelle que le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du préambule de la Constitution de 1946, la France puisse conclure, sous réserve de réciprocité, des engagements internationaux en vue de participer à la création ou  au développement d'une organisation internationale permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les États membres".

          Au regard du droit international, la formule est infiniment plus satisfaisante que celle figurant dans le préambule de 1946 ("limitations de souveraineté"), même s'il est paradoxal de voir le Juge constitutionnel réécrire la Constitution... Elle contraste aussi heureusement avec celles qui figuraient dans les décisions antérieures du Conseil:

          - "aucune disposition de nature constitutionnelle n'autorise des transferts de tout ou partie de la souveraineté nationale à quelque organisation internationale que ce soit";

          - "en raison des modalités de son exercice, la procédure de poursuite transfrontalière ne procède pas à un  'transfert de souveraineté'" ;

          - "l'absence de référence à une clause de retrait ne saurait constituer en elle-même un abandon de souveraineté".

          Sans formellement remettre en cause la formulation malheureuse du préambule de 1946, la révision constitutionnelle n'en consacre pas moins la relecture faite par le Conseil puisque le nouvel article 88-2 ajouté à la Constitution en cette occasion dispose :

          "Sous réserve de réciprocité, et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'établissement de l'union européenne et monétaire européenne ainsi qu'à la détermination des règles relatives aux franchissements des frontières extérieures des États membres de la Communauté européenne".

          Dorénavant, et la décision "Amsterdam" le confirme, le Conseil, conforté dans sa démarche par le Constituant, s'attache donc à contrôler la compatibilité non pas des "transferts" ou des "limitations" de souveraineté réalisés par les engagements internationaux de la France, ce qui n'a guère de sens au regard du droit international, mais les transferts de compétence qui résultent des traités ou accords conclus par la République.

          8. La mesure de ce contrôle n'est pas évidente.

          Une première solution aurait pu consister à voir dans le quinzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 une "clause d'habilitation" générale. Après tout, il n'est pas déraisonnable d'interpréter la formule "... la France consent aux limitations de souveraineté..." comme signifiant que ces "limitations de souveraineté", assimilées à des "transferts de compétences", sont ipso facto, et du fait même du préambule, conformes à la Constitution. Dans ce cas, le contrôle exercé par le Conseil se serait limité à déterminer si ces transferts ne revenaient pas à une renonciation pure et simple à la souveraineté de la France qui, du même coup, cesserait d'être un État souverain au sens du droit international public et, dans tous les cas où il n'en irait pas ainsi, à constater que ces transferts sont conformes à la Constitution.

          Une lecture isolée du préambule de 1946 aurait dû conduire à une telle solution. Le Conseil constitutionnel ne semble cependant jamais l'avoir envisagée - et à juste titre car l'alinéa précité n'est pas la seule norme de référence par rapport à laquelle il doit se prononcer.

          9. Il lui fallait en effet concilier ce premier principe, maladroitement inspiré par la définition de la
     souveraineté prévalant dans l'ordre international, avec les normes constitutionnelles de référence orientées vers la définition interne de la souveraineté et, plus particulièrement, avec l'article 3 de la Constitution: "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum".

          C'est pour opérer cette conciliation que le Conseil a, dès 1970, forgé la notion de "conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale", opérant du même coup un glissement de la notion de souveraineté (qui, on ne le répètera jamais assez, ne se "limite" pas plus qu'elle ne se "divise") à ses modalités d'exercice.

          Pour ce faire, la Haute Juridiction doit, ici encore, s'éloigner de la lettre de la Constitution - qui n'envisage nullement que la souveraineté est exercée "essentiellement" par le peuple -, et chercher une voie moyenne entre une conception absolue de la souveraineté (telle qu'elle prévaut dans l'ordre interne) et les exigences de la vie internationale contemporaine et, tout spécialement, de la construction communautaire, qui ne sauraient s'accommoder de "l'exercice" exclusif de la souveraineté par le peuple/nation (comme le Constituant de 1946 en avait eu la forte intuition, maladroitement exprimée).

Encore fallait-il dégager les critères permettant de différencier les "conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale" de celles qui ne sont pas "essentielles". C'est à quoi s'emploie la jurisprudence du Conseil depuis 1970; elle trouve son point d'aboutissement actuel dans la décision du 31 décembre 1997.