L’ORDRE JURIDIQUE ADMINISTRATIF

 

 

1ère partie : les sources du droit administratif

 

Chapitre 1 les normes constitutionnelles

 L’ordre constitutionnel sans pouvoir fournir les bases du droit administratif comme l’avait espéré le doyen Vedel fournit un certain nombre de normes intéressant directement le droit administratif.

Le corps de la Constitution n’est pas très riche contrairement à son Préambule. Il renferme cependant des indications d’ordre institutionnel portant sur :

-        la répartition des compétences entre pouvoir législatif et pouvoir réglementaire (art. 34/37) et les procédures qui garantissent le respect de cette répartition (art. 37-2, 38, 41)

-        la répartition du pouvoir réglementaire entre Président de la République et Premier ministre (art. 13-21).

Il contient aussi des dispositions de fond portant sur l’action administrative :

-        les principes d’égalité devant la loi (art. 1), d’universalité, d’égalité et de secret du suffrage (art.3)

-        le principe de libre administration des collectivités locales, d’exercice par le représentant de l’Etat d’un contrôle administratif (art. 34 et 72 ; Conseil d'Etat 28 février 1997, Commune du Port).

Concernant le Préambule de 1958, son contenu contient de nombreux principes intéressant le droit administratif mais avant de les examiner, reste à régler le problème de sa valeur juridique.

 

A la valeur juridique du préambule

a)      avant 1958

Le préambule de 1946 avait valeur de droit positif pour les juridictions administratives en vertu de l’article 81 qui prévoyait explicitement que : « la qualité de citoyen leur assure la jouissance des droits et libertés garantis par le Préambule de la présente Constitution ». Le Conseil d'Etat a dès lors accepté d’appliquer les dispositions dudit Préambule, notamment celles consacrant le droit de grève (Conseil d'Etat Ass 7 juillet 1950 Dehaene).

b)     après 1958

Le Conseil d'Etat dans son arrêt Eky du 12 février 1960 devait reconnaître valeur juridique au préambule de 1958 et aux textes auxquels il renvoie. Ainsi le Conseil d'Etat accepte de considérer un moyen tiré de la violation par un décret de l’article 8 de la DDHC de 1789 consacrant la non-rétroactivité des lois pénales. Il fut suivi par le Conseil constitutionnel en 1971.

Pourtant de nombreux arguments négatifs paraissaient s’imposer :

-        le Préambule de1958 se contente de parler d’un attachement du peuple français aux droits et principes qu’il proclame

-        les travaux préparatoires révèlent une hostilité à ce sujet

-        les dispositions des textes de 1789 et de 1946 sont souvent imprécises, voire incantatoires : comment les opposer à l'administration, notamment à l’occasion d’un litige.

Il semble que le Conseil constitutionnel a eu en fait une démarche pragmatique : devant le silence de la Constitution de 1958, contrairement  à la Constitution de 1946 (art. 92) qui interdisait au Comité Constitutionnel de prendre en compte le Préambule, le Conseil constitutionnel a estimé qu’il était souhaitable qu’un contrôle vis-à-vis de la Constitution au sens large fût organisé. Cela permettait ainsi que le pouvoir réglementaire autonome (art. 37) soit soumis à un contrôle juridique.

Dès lors aussi bien pour le Conseil constitutionnel que le Conseil d'Etat, la totalité des dispositions du préambule de 1958 et de textes auxquels il renvoie ont valeur constitutionnelle. Certaines dispositions sont suffisamment précises pour être applicables directement, d’autres exigent qu’elles soient concrétisées par des lois d’application. Il appartient notamment aux juridictions administratives d’en décider.  Leur choix est parfois contestable : par exemple la disposition imprécise (al. 12) selon laquelle « la Nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges  qui résultent des calamités nationales » a bien été jugé inapplicable par le Conseil d'Etat : elle ne saurait être invoquée à l’appui d’un recours tant qu’une loi n’a pas précisé ses modalités d’application (10 décembre 1962, Société indochinoise de constructions électriques). Mais une autre disposition qui apparaît aussi imprécise (al. 10) selon laquelle « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » a pourtant été considérée comme applicable  par le Conseil d'Etat. Elle justifiait l’annulation d’un décret limitant les possibilités de regroupement familial des étrangers résidant en France (Ass. 8 décembre 1978, GISTI, CFDT et CGT).

 

 

B le contenu du Préambule.

 

Trois catégories de principes :

a)      les principes à valeur constitutionnelle issus de la DDHC de 1789 :

A partir de certains articles de la Déclaration, le Conseil constitutionnel a défini des principes  comme le principe d’égalité  qui « impose seulement qu’à des situations semblables soient appliquées les mêmes règles et qui n’interdit pas qu’à des situations non semblables soient appliquées des règles différente « à condition que cela soit justifié par « la différence des situations et ne soit pas incompatible avec la finalité de la loi » ; principe dont il a tiré des corollaires : égalité devant  la justice (Conseil constitutionnel 75-56 DC du 23 juillet 1975), égalité devant le service public (Conseil constitutionnel 86-217 DC su 18 septembre 1986). Certains articles concernent indirectement le droit administratif comme l’article 3 selon lequel « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » ; ce qui impose une participation seulement minoritaire d’étrangers au sein des juridictions administratives notamment (Conseil constitutionnel 98-399 DC du 5 mai 1998).

b) les principes politiques, économiques et sociaux « particulièrement nécessaires à notre temps » issus du Préambule de 1946.

Certains se rattachent à l’esprit de la Déclaration de 1789 : égalité des sexes (Conseil d'Etat 26 juin 1989, Fédération des syndicats généraux de l’éducation nationale), droit de mener une vie familiale normale (Conseil d'Etat Ass. 8 décembre 1978, GISTI). D’autres ont une portée sociale ou économique : droit syndical (Conseil constitutionnel DC89-257 23 juillet 1989), droit à la protection de la santé (Conseil constitutionnel 89-269 DCdu 22 janvier 1990).

c) les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République mentionnés sans illustration par le Préambule de 1946.

Il s’agit de principes dont le caractère fondamental justifie la valeur constitutionnelle. Ils sont pourtant issus de simples lois ; les lois républicaines antérieures au 24 décembre 1946. C’est le Conseil d'Etat qui a ouvert la voir en reconnaissant dès 1956 la valeur constitutionnelle de la liberté d’association (Conseil d'Etat Ass. 11 juillet 1956 Amicale des Annamites de Paris) avant d’être suivi par le Conseil constitutionnel en 1971. C’est le Conseil constitutionnel qui a dégagé la plupart de ces principes. Par exemple : le principe selon lequel l’annulation ou la réformation des décisions prises par l'administration relève de des juridictions administratives (Conseil constitutionnel 23 janvier 1987).  Mais il n’a pas un monopole ; le Conseil d'Etat n’a pas hésité à en consacrer un nouveau en matière d’extradition (Conseil d'Etat Ass. 3 juillet 1996, Koné).

 

 

C le respect du Préambule (et des normes constitutionnelles).

Le respect de ces normes est menacé par deux difficultés :

 

a)      la théorie de la loi-écran

Il arrive fréquemment qu’un acte administratif a été pris conformément à une loi dont il tient le vice d’inconstitutionnalité qui l’entache.  Dès lors statuer sur la constitutionnalité de l’acte administration reviendrait à examiner la loi qui fait écran entre le juge et les normes constitutionnelles. Or les juridictions administratives et juridictions judiciaires se considérant comme des garants du respect des lois refusent depuis toujours de contrôler la conformité d’une loi à la Constitution (Conseil d'Etat 6 novembre 1936 Arrighi) et récemment Conseil d'Etat 28 juillet 1999 Griesmar. Ces juridictions estiment comme « inutilement invoqué » le moyen tendant à exciper de l’inconstitutionnalité de la loi pour faire annuler l’acte administratif. La loi couvre l’acte administratif pris sur son fondement.

Cette théorie est contestable (on invoque par exemple à son appui l’existence d’une juridiction chargée du contrôle de constitutionnalité mais son contrôle n’étant que préventif et sur saisine n’est pas systématique). Elle rencontre heureusement des limites :

-        les juridictions administratives peuvent interpréter une loi pour neutraliser son éventuelles inconstitutionnalité

-        l’existence des règlements autonomes qui interviennent dans des domaines excluant la compétence du législateur : ils ont pour seules normes de référence la Constitution.

-        l’écran législatif est transparent : il en va ainsi lorsque la loi sur le fouëne duquel l’acte administratif est intervenu s’est bornée à renvoyer à l’autorité réglementaire le soin de poser certaines règles sans contenir elle-même des normes de fond. Les éventuels vices d’inconstitutionnalité ne peuvent donc être imputés qu’à l’autorité réglementaire (Conseil d'Etat 17 mai 1991, Quintin).

Elle aurait pu disparaître si le projet de mise en place d’une exception d’inconstitutionnalité avait été adopté (1990).

b)     les interprétations divergentes du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel 

Les dispositions de la Constitution et surtout de son Préambule doivent être interprétées en raison de leur imprécision. Ici, peuvent intervenir des divergences entre Conseil constitutionnel et juridictions administratives (ou judiciaires ). Elles sont rares : par exemple à propos de l’art. 43 de la Constitution qui réserve au législateur « la détermination des peines et des délits ». Le Conseil d'Etat en a déduit l’incompétence du pouvoir réglementaire contredisant les précédentes décisions du Conseil constitutionnel. Mais finalement il a emporté la conviction de ce dernier (Conseil constitutionnel  69-55 L du 26 juin 1969).

Pourtant l’art. 62 de la Constitution semble résoudre la difficulté en prévoyant que les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Il en résulte de la part des juridictions administratives la soumission aux interprétations du Conseil constitutionnel : interprétations de la Constitution mais aussi de la loi que laquelle le juge constitutionnel s’est prononcé. Mais les juridictions administratives ne s’estiment pas liées par les interprétations du Conseil constitutionnel lorsqu’il n’est pas saisi d’une loi précédemment examinée par ce dernier. En d’autres mots, le Conseil d'Etat s’estimera lié si seulement il se prononce non seulement sur les normes constitutionnelles déjà examinées par le Conseil constitutionnel mais aussi sur le même texte de loi. En pratique, les juridictions administratives reprennent cependant souvent des interprétations et de principes formulés par le Conseil constitutionnel.

 

Chapitre 2 les normes internationales

La masse des normes internationales représente maintenant 17% des règles composant l’ordre juridique français. Cette part augmente puisque depuis 1992 l’Union européenne introduit plus de normes que le gouvernement français.

 

A la notion de normes internationales

 

Définition : toute norme juridique incluant un élément d’extranéité organique (donc issue en partie d’un organe étranger) ; elle résulte d’une négociation puis d’un accord entre autorité française et étrangère

-        traités, conventions et accords

-        actes émanant d’organisations internationales investies du pouvoir d’édicter des mesures s’imposant  aux Etats reconnaissant ces institutions (le droit dérivé). Par exemple dans le cas de l’Europe, les règlements communautaires  directement applicables dans tout Etat membre (art 249-2 du traité de Rome) et les directives communautaires liant les Etats membres quant  au résultat à atteindre (art. 249-3).

-        Les « règles du droit public international » auxquelles la France se conforme par le biais du Préambule de 1946 ; le statut de la Cour de justice internationale les définit comme les principes du droit reconnus par les Nations civilisées.

Pour être sources du droit administratif, ces normes doivent satisfaire certaines conditions :

-        En vertu de l’art. 55, un traité doit, pour avoir autorité être signé, ratifié et publié ; ce que vérifie le Conseil d'Etat.

-        En vertu de l’art. 55, l’autorité des traités est subordonnée à leur application réciproque par l’autre partie. Ici le Conseil d'Etat se réfère à l’avis du ministre.

-        Avoir un effet direct pour les particuliers : le Conseil d'Etat le vérifiera au regard de leur objet et de leur suffisante précision avec ici un risque de conflit avec la Cour de Cassation.

 

B la place des normes internationales en droit administratif

 

a)      par rapport  à la Constitution

Les juridictions administratives doivent-elles privilégier les traités à la Constitution ou inversement ?

L’art. 55 prévoit que les « traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont dès leur publication une autorité supérieure aux lois ». Il ne dit donc rien sur les rapports entre traités et Constitution.

L’art. 54 qui organise un contrôle préventif de la compatibilité des traités et de la Constitution n’est pas décisif. Il prévoit que, lorsqu’une clause d’un traité est contraire à la Constitution, l’autorisation de la ratifier ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution.  Mais cette obligation de mise en compatibilité ne résulte pas de l’existence d’une hiérarchie entre traité et Constitution ; seulement de la nécessité de ne pas modifier unilatéralement un traité  [ce qui implique qu’on modifie seulement la Constitution, acte interne].

Ce silence de la Constitution est logique : la supériorité d’une norme supérieure ne peut être décidée par une norme inférieure . Les juridictions administratives n’ont pu trancher. Elles se sont contentées soit d’interpréter le traité à la lumière de la Constitution, soit d’interpréter la Constitution à la lumière d’un traité. Ainsi, en 1996 dans une décision Koné (Conseil d'Etat Ass 3 juillet 1996), le Conseil d'Etat a interprété un traité relatif au droit des extraditions ; il a formulé un PFRLR à valeur constitutionnelle interdisant d’extrader un étranger poursuivi dans un but politique. Le texte international a été ainsi neutralisé parce que lu conformément à la Constitution. Mais le Conseil d'Etat n’a pas affirmé explicitement la supériorité de la Constitution sur le traité. Il en sera de même avec l’arrêt Sarran (Conseil d'Etat, Ass 30 octobre 1998). Enfin, dans un arrêt (Conseil d'Etat 3 novembre 1999, Groupement de défense des porteurs de titres russes), le Conseil d'Etat affirme qu’à un acte administratif interne conforme à un acte international, il ne peut être reproché de violer la Constitution.

En définitive, l’acte interne conforme à la Constitution mais suspect de contrariété au traité (arrêt Saran de 1998) ne pourra pas plus être sanctionné que l’acte interne conforme au traité mais suspect de contrariété à la Constitution (arrêt de 1999). L’une de ces normes lorsqu’elle sert de fondement à un acte administratif constitue pour le juge un écran.

 

     b) par rapport  à la loi

L’art. 55 attribue une supériorité aux traités sur la loi. La porté de cette supériorité est cependant circonscrite :

-        cette suprématie ne profite pas à la coutume internationale (Conseil d'Etat Ass. 6 juin 1997 Aquarone) et ne s’exerce pas à l’égard de la Constitution (Sarran (Conseil d'Etat, Ass 30 octobre 1998).

-        Cette suprématie n’est pas sanctionnée par le Conseil constitutionnel pour lequel une loi contraire à un traité n’est pas pour autant contraire à la Constitution (Conseil constitutionnel 74-54 15 janvier 1975). Il refuse en conséquence d’assurer le respect de l’art. 55 dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution (art. 61-al2.). Une seule atténuation doit être mentionnée : les articles 88-2 et 88-3 de la Constitution qui marquent le consentement de la France à des transferts de compétence nécessaires au respect des diverses exigences du droit communautaire (union économique et monétaire, libre circulation des personnes et des biens, droit de vote des ressortissants de la communauté aux élections municipales). L’accord est subordonné au respect des modalités prévues en ces matières par les traités instituant la Communauté européenne et sur l’Union européenne. Ce renvoi insère ces normes internationales dans les normes de référence et habilite le juge constitutionnel à en vérifier le respect.

 

C le respect des normes internationales en droit administratif.

La supériorité des traités posée à l’art. 55 ne reste pas pour autant théorique. Les juridictions administratives ont admis de la faire respecter tant pas les actes administratifs que par les lois.

 

a)      Par les actes administratifs

On envisage le cas ici où la loi ne fait pas écran ; où l’acte administratif est directement confronté à une norme internationale originaire ou dérivée.

-        originaire :

Le Conseil d'Etat admet de pis longtemps la possibilité de vérifier la conformité des actes administratifs au droit international. La solution acquise sous la 4e République sur le fondement de l’art. 26 (Conseil d'Etat Ass 30 mai 1952 Dame Kirwood) est reprise sous la 5e République sous le fondement de l’art. 55 (Conseil d'Etat Ass. 19 avril 1991 Belgacem). Lorsque l’applicabilité en droit interne des normes internationales est avérée, alors est permis un contrôle large de ces normes (principes Conseil d'Etat 27 septembre 1985 France Terre d’asile, règles coutumières Conseil d'Etat Ass 6 juin 1997 Aquarone).

-        dérivée :

Pour le droit européen, on distinguera entre :

Les règlements communautaires dont l’effet direct en est prévu par l’art. 249 al2 du Traité de Rome ne soulèvent aucune difficulté.

Les directives communautaires  (qui ne fixent que des objectifs aux Etats membres à atteindre par les moyens de leur choix) s’imposent aux actes réglementaires internes. L’incompatibilité avec les objectifs définis par les directives les entachent d’illégalité (Conseil d'Etat 10 mars 1999 Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire). De même le refus d’abroger des règlements antérieurement édictés et devenus incompatibles avec une directive (Conseil d'Etat Ass 3février 1989 Compagnie Alitalia). Par contre, parce qu’elle ne comporte justement que des objectifs à atteindre par les Etats membres, la directive n’a pas d’effet direct à l’égard des particuliers (Conseil d'Etat Ass 22 décembre 1978 Ministre de l’intérieur c- Cohn-Bendit). Cette dernière jurisprudence est en contradiction avec la position de la Cour de justice des Communautés européennes qui reconnaît aux particuliers le droit d’invoquer les directives inconditionnelles et suffisamment précises (CJCE 4 décembre 1974 Van Duyn). Ce qui a amené les autorités européennes à produire des directives de plus en plus précises bénéficiant alors d’une applicabilité directe écartée par le traité de Rome mais accordée par la Cour.

Cependant la portée restrictive de la jurisprudence Cohn-Bendit est atténuée par deux facteurs :

-- l’arrêt indique lui-même le moyen de contourner l’interdiction d’invoquer une directive : il suffit aux requérants de mettre en cause par voie d’exception la compatibilité de l’acte réglementaire interne  pour obtenir l’annulation de la décision individuelle prise sous son fondement (Conseil d'Etat 8 juillet 1991 Palazzi).

-- Lorsqu’une décision individuelle est prise dans une matière régie par une directive mais dépourvue de réglementation interne, les juridictions administratives acceptent que le requérant fasse valoir l’incompatibilité du droit interne (par son inexistence)  avec la directive en cause (Conseil d'Etat Ass 6 février 1998, Tête).

 

b)     Par les lois

L’art. 55 n’est pas resté lettre morte malgré l’attitude du Conseil constitutionnel : les juridictions administratives et juridictions judiciaires ont pris le relais.

 

1)     Les palliatifs

Les juridictions administratives disposent de deux moyens pour minimiser, sinon supprimer le conflit existant entre les normes qu’il doit appliquer :

-        Elles peuvent délimiter les champs respectifs de la loi et du traité. Si les champs ne se superposent pas, le conflit est évité (Conseil d'Etat 28 juillet 1999, Majhoub) ; en cas contraire, le conflit se limite à la seule partie commune aux deux champs.

-        Elles peuvent interpréter les textes en désaccord pour les harmoniser. Cet effort d’interprétation est spécifique pour ce qui concerne les traités. Deux précisions :

1       Les juridictions administratives ont pendant longtemps refusé d’interpréter les normes internationales. Elles préféraient surseoir à statuer et renvoyer la difficulté au ministre des Affaires étrangères.  Un revirement de jurisprudence eut lieu avec l’arrêt GISTI (29 juin 1990) ; revirement bienvenu car la France devait être condamnée pour sa jurisprudence passée par la Cour européenne des droit de l’homme (CEDH 24 novembre 1994, Beaumartin c- France). La Cour a considéré qu’il y avait violation du droit à un procès équitable (Art 6 §1 de la Convention) du fait que l’Etat pouvait grâce  à l’interprétation donnée par le ministre être en position favorable. Depuis lors, les juridictions administratives se reconnaissent compétentes pour interpréter elles-mêmes les traités ; ce qui n’exclut pas qu’elles prennent en compte comme simple avis les interprétations du ministre des affaires étrangères.

2       L’interprétation des dispositions communautaires fait l’objet d’une procédure spécifique faisant intervenir la CJCE. En vertu de l’art. 234 du Traité de Rome, elle est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation du traité ainsi que sur l’interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté. Ce renvoi est obligatoire pour les juridictions suprêmes comme le Conseil d'Etat. Ce dernier renvoie seulement s’il y a une difficulté sérieuse ou si l’acte n’est pas clair. Après avoir abusé de la notion d’acte clair (en retenant par exemple une interprétation contraire à celle de la CJCE dans l’affaire Cohn-Bendit) ne répugne plus maintenant à renvoyer des problèmes d’interprétation.

 

2)     La hiérarchie traité/loi

Les juridictions administratives ont reconnu leur compétence pour sanctionner cette hiérarchie en deux temps : refus puis acceptation. Le problème ne concernait que la question d’un traité antérieur à la loi. Pour un traité postérieur, les juridictions administratives ont pu admettre sans difficulté qu’il abroge une loi parce qu’il n’était pas besoin de le considérer comme supérieur par rapport à elle. En effet, si on admet que le traité a au moins valeur de loi, alors comme tout loi postérieure, il peut abroger une loi existante.

 

a)      Le refus de départ

Les juridictions administratives ont d’abord exclu de sanctionner la supériorité des traités sur des lois postérieures (Conseil d'Etat 1er mars 1968 Syndicat général des fabricants de semoules de France). Pourquoi ?

-        La supériorité des normes constitutionnelles et internationales ne l’autorise pas pour autant à écarter la loi dont il est le garant

-        Vérifier le respect d’une norme international par la loi constituerait un contrôle de constitutionnalité des lois puisque cela revient à faire respecter un article de la Constitution : l’art 55 . Or seul le Conseil constitutionnel peut exercer un tel contrôle. Lorsque le Conseil constitutionnel refusa à son tour de veiller au respect des traités par les lois en précisant qu’il ne s’agissait pas d’un contrôle de constitutionnalité [une loi contraire à un traité n’est pas forcément contraire à la Constitution], alors le Conseil d'Etat eut recours à la théorie de la loi écran (Conseil d'Etat Ass 22 octobre 1979, Union démocratique du travail). Mais de son côté la C de C devait interpréter cette décision du Conseil constitutionnel comme l’habilitant à effectuer un contrôle des lois aux traités (Cass 24 mai 1975 Administration des Douanes c- Société des cafés J.Vabre).

Dès lors, le Conseil d'Etat se trouvait en contradiction avec la C de C. De plus, sa position allait être critiquée par la CJCE qui impose aux juges nationaux d’appliquer intégralement le droit communautaire « en laissant inappliquée toute disposition éventuellement contraire à la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou postérieure à la règle communautaire » (CJCE 9 mars 1978, Administration des finances de l’Etat c- SA Simmenthal).

b)     le revirement.

 

Le revirement très attendu par la doctrine eut lieu avec l’arrêt Nicolo (Conseil d'Etat Ass 20 octobre 1989). Le Conseil d'Etat accepta de vérifier la compatibilité d’une loi électorale avec les dispositions du Traité de Rome. Il juge pour la première fois recevable un moyen qu’il aurait jugé irrecevable selon la jurisprudence antérieure : soit la question de la conformité de la loi du 7 juillet 19777 avec le Traité de Rome du 25 mars 1957 antérieur à la loi.

Pour autant, le Conseil d'Etat ne se prononce pas sur une supériorité du traité par rapport à la loi. Il semble plutôt que le Conseil d'Etat ait accepté d’être juge de la conformité des lois par rapport au principe constitutionnel de l’art. 55 selon lequel  le traité est supérieur à la loi. Le Conseil d'Etat comme l'avait admis la Cour de Cassation considère que l’art. 55 l’habilite à écarter pour cause de contrariété à la Constitution des lois contraires à des traités antérieurs. 

Ce contrôle a une portée très large :

-        Il profite aux normes internationales d’origine non communautaire comme la Convention européenne des droits de l’Homme (Conseil d'Etat Ass 21 décembre 1990, Confédération européenne de sauvegarde des droits de l’homme). Cela amène le juge administratif à exercer un contrôle des lois par rapport aux libertés fondamentales très proche du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel par rapport au Préambule de 1958. Avec un avantage considérable : il s’agit alors d’un contrôle plus systématique car effectué a posteriori et ouvert aux citoyens. Dès lors le contrôle de conventionnalité vient concurrencer le contrôle de constitutionnalité.

-        Les lois sont soumises au respect tant du droit international originaire que du droit dérivé qu’il s’agisse de règlements (Conseil d'Etat 24 septembre 1990, Boisdet), que des directives (Conseil d'Etat SARothmans International France). La seule limite porte sur la coutume internationale qui n’est pas visée selon le Conseil d'Etat par l’article 55.

Quelles conséquences ?

-        Le gouvernement par dérogation au principe de compétence liée en ce qui concerne l’exécution des lois doit refuser de prendre des mesures réglementaires d’application d’une loi contraire à une norme internationale (Conseil d'Etat 24 février 1999, Association des patients de la médecine d’orientation anthroposophique).

-        L’Etat voit sa responsabilité engagée en cas de violation du droit international et la faute fait l’objet d’une indemnisation. Cette jurisprudence a été consacrée seulement en matière de droit communautaire (Conseil d'Etat 28 février 1992, Société Arizona Tobacco Products). Le fondement de cette responsabilité est délicat à déterminer. En effet, il est traditionnel de considérer que le législateur ne peut mal faire : ce qui exclut la responsabilité pour faute du fait des lois au profit d’une responsabilité sans faute. Le Conseil d'Etat pour ne pas entamer le dogme de l’infaillibilité du législateur a imputé la faute au décret d’application de la loi alors même que le pouvoir réglementaire s’est borné à l’appliquer.  Mais déjà une Cour administrative d’appel est allée plus loin en admettant la responsabilité pour faute du législateur.

 

 

Chapitre 3 les normes légales et réglementaires

 

Un auteur à propos des normes légales et réglementaires parle de sources « affaiblies » du droit administratif. Pourquoi ? En raison de leur dévalorisation du fait du développement des normes constitutionnelles et internationales, notamment du droit communautaire dérivé. La loi et le règlement sont devenues des normes subordonnées et non plus initiales dont la portée est surtout technique.  Les normes légales et réglementaires constituent certes la source principale en termes quantitatifs du droit administratif (7500 lois, 90000 règlements en 1991 selon le Conseil d'Etat). Mais cela révèle plutôt une inflation préjudiciable à ces normes. A quoi il faut ajouter  longueur , instabilité et faible normativité quelquefois… 

 

Section 1  le régime des normes légales et réglementaires

 

A les domaines respectifs :

Les art. 34 et 37 al1 de la Constitution innovent sur deux points par rapport aux républiques antérieures :

-        La loi se définit non plus selon un critère seulement organique mais aussi par un critère matériel ; elle a maintenant un domaine de même que le règlement.

-        Le législateur n’a plus qu’une compétence d’attribution alors que le pouvoir réglementaire a une compétence de droit commun ou de principe.

-        Cependant, on va voir que la pratique constitutionnelle a atténué la portée de ce nouveau schéma de répartition défavorable a priori à la Loi.

a)      La délimitation théorique 

La loi se définit maintenant comme l’acte voté par le Parlement qui fixe les règles ou détermine les principes fondamentaux en diverses matières prévues à l’art 34. Une frontière est maintenant fixée entre lois et règlements. De son côté la loi fixe des règles notamment en matière de libertés et se contente de déterminer des principes notamment en ce qui concerne le droit du travail ou le régime de propriété : elle a un domaine particulier. De l’autre côté, le règlement a un champ qui s’étend à toutes les autres matières. Cela signifie que les titulaires du pouvoir réglementaire deviennent les autorités de principe pour l’édiction des textes généraux. À quoi il faut ajouter que ces autorités ont maintenant un pouvoir réglementaire autonome donc mis en œuvre en toute indépendance par rapport au législateur (en ce qui concerne par exemple la structure de l'administration étatique). Ce pouvoir reste cependant soumis aux traités, principes généraux du droit et Constitution.

De plus, ce pouvoir réglementaire assure toujours l’exécution des lois en vertu de l’article 21 selon lequel le Premier ministre assure l’exécution des lois. Cela se traduit par l’obligation d’édicter des règlements nécessaires à l’application des lois. Le Conseil d'Etat considère que le pouvoir réglementaire a un délai raisonnable pour rédiger ces textes. Passé ce délai, les juridictions administratives acceptent d’annuler le refus du Premier ministre d’édicter les actes nécessaires et depuis la loi du 8 février 1995 lui enjoint sous astreintes de la faire dans un délai déterminé (Conseil d'Etat 26 juillet 1996 Association lyonnaise de protection des locataires). Le retard lorsqu’il est source de préjudices pour les administrés entraîne l’obligation pour l’Etat de les réparer (Conseil d'Etat 27 novembre 1964 Veuve Renard).

b)     L’application de la délimitation

La pratique révèle que la loi a largement regagné le terrain perdu ; qu’il y a eu retour à la tradition.

-        La liste des matières de l’art. 34 relevant du législateur est formulée en termes si généraux qu’elle couvre l’essentiel de l’activité normative

-        L’interprétation par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat de ces matières a encore élargi le domaine législatif au détriment du pouvoir réglementaire. Par exemple, il n’est pas fait de distinction entre les matières où la loi fixe les règles et celles où la loi détermine les principes fondamentaux. Le législateur est donc libre de régler dans les moindres détails tout domaine évoqué à l’article 34 et ce au détriment du pouvoir réglementaire d’exécution des lois.

-        Le législateur ne s’embarrasse pas de limites de sa compétence et n’hésite pas à s’immiscer dans le domaine réglementaire.  Cela se fait souvent avec l’accord tacite du gouvernement, voire à son initiative lorsqu’il préfère voir le Parlement endosser la responsabilité de certaines décisions par le Parlement.

c)      La sanction de la délimitation

La Constitution a prévu plusieurs procédures pour garantir la frontière loi-Règlement, la plupart protégeant le domaine réglementaire (art. 42, 37-2). La question s’est posée de savoir si le respect du domaine réglementaire pouvait être assuré par le Conseil constitutionnel dans le cadre du classique contrôle de constitutionnalité de l’art. 61. La réponse a été négative (Conseil constitutionnel 82-143 DC). En effet, une loi outrepassant les limites de l’art. 34 n’est pas pour autant inconstitutionnelle. Du fait que les procédures mises à disposition pour le gouvernement afin de protéger son domaine sont facultatives, on peut dire que le constituant n’a pas exclu le vote d’une loi en matière réglementaire. Cela relativise la portée de la frontière de l’art. 34.

D’un autre côté, les juridictions administratives protègent rigoureusement la loi des empiètements du pouvoir réglementaire. Un acte administratif réglementaire est illégal s’il méconnaît l’étendue du domaine législatif pour violation des art. 34 et 37 (Conseil d'Etat Ass 27 octobre 1995, Union maritime CFDT).

 

Conclusion : la loi continue de bénéficier d’une prédominance matérielle comme avant 1958.

 

 

B les régimes exceptionnels

Il s’agit de domaines dérogatoires au régime normal de répartition de compétences

a)     l’art. 92

Cet article maintenant abrogé a permis au gouvernement de prendre par ordonnance dans les mois suivant l’entrée en vigueur de la Constitution les mesures nécessaires à la mise en place et au fonctionnement des pouvoirs publics notamment. L’art 92 donnant force de loi aux dites ordonnances, elles ne se sont pas bornées à intervenir dans le domaine de la loi mais ont été prises dans l’exercice du pouvoir législatif. Cela explique que le juge administratif ait décliné sa compétence pour  connaître même celles de leurs dispositions intervenues dans le domaine réglementaire (Conseil d'Etat 12 février 1960, Société Eky).

b) l’art. 38

Cet article permet au pouvoir réglementaire d’intervenir dans le domaine de la loi sans pour autant exercer le pouvoir législatif proprement dit.

L’initiative du recours aux ordonnances appartient au gouvernement. L’accord du législateur se manifeste par une loi d’habilitation. Si le gouvernement ne soulève pas une exception d’irrecevabilité (art. 41) au cours des travaux préparatoires à une loi ne respectant pas le champ d’une loi d’habilitation, cette immixtion n’est pas sanctionnée dans le cadre du contrôle de constitutionnalité (Conseil constitutionnel 86-224). L’habilitation du gouvernement ne vaut que pour une période donnée à l’expiration de laquelle le législateur retrouve sa compétence. En conséquence, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi pour leurs dispositions qui relèvent du domaine législatif. Pour les autres, un décret en Conseil des Ministres suffit.

Les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si un projet de loi de ratification n’est pas déposé avant une date fixée par la loi d’habilitation. Tant que le Parlement ne les ratifie pas, elles conservent leur nature d’actes administratifs réglementaires contestables par le biais d’un recours pour excès de pouvoir (Conseil d'Etat Ass. 19 octobre 1962 Canal, Robin et Godot) ou d’une exception d’illégalité (Conseil d'Etat 14 avril 1999, Syndicat des médecins libéraux) devant les juridictions administratives. On peut invoquer alors la violation du champ de la loi d’habilitation, la contrariété à des principes généraux du droit, à des principes constitutionnels ou à des normes internationales.

Le vote d’une loi de ratification par le Parlement confère rétroactivement force de loi à l’ordonnance. Cette ratification peut découler non seulement d’une loi expresse mais de la volonté implicite du législateur. En Effet, le Conseil constitutionnel n’exclut pas que la ratification de tout ou d’une partie d’une ordonnance « puisse résulter d’une loi qui, sans avoir cette ratification pour objet direct, l’implique nécessairement » (Conseil constitutionnel 86-224). L’ordonnance ratifiée ne peut donner lieu qu’à un contrôle indirect :

- soit de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel à l’occasion de l’examen de la loi de ratification

- soit de conventionnalité  devant les juridictions administratives à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir contre une mesure d’application de cette ordonnance.

 

b)     l’art. 16.

Rappel : l’art. 16 attribue au Président de la République le pouvoir de prendre les mesures exigées par les circonstances en cas de menace grave et immédiate interrompant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Concentrant entre ses mains les pouvoirs législatif et réglementaire, le Président de la République est alors délié du respect des art. 34 et 37.  Quel est lé régime de ces mesures ?

Le Conseil d'Etat a été saisi d’un recours lors de la crise algérienne en 1961 qui a justifié le seul recours sous la Ve République à l’art. 16. (Conseil d'Etat 2 mars 1962 Rubin de Servens).

-        La décision de recourir à l’art. 16 est qualifiée d’acte de gouvernement : ce qui désigne un acte de nature non administrative car touchant aux relations entre les pouvoirs publics constitutionnels et qui de ce fait échappe à tout contrôle juridictionnel.

La nature et donc le régime des mesures prises durant la période d’application de l’art. 16 dépendent du domaine dans lequel elles interviennent :

-        Lorsque le Président de la République prend une mesure entrant dans le domaine de l’art. 34, elle est un acte législatif que les juridictions administratives ne doivent pas connaître

-        Lorsque le Président de la République prend une mesure relevant du domaine réglementaire, elle est susceptible de recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d'Etat a admis la recevabilité d’un tel recours.

Cependant le contrôle reste théorique :

-        Les actes pris dans le domaine législatif seraient illégaux en temps normal car contraires à la loi. Mais ici, ils sont considérés comme des mesures législatives donc légalisés.

-        Les actes pris dans le domaine réglementaire qui sont légaux en temps normal restent légaux.


 

Section 2 : l’autorité respective de la loi et du règlement

 

A)    La loi

a)      La contestation de la loi

-        Rappel N°1 : seul le Conseil constitutionnel (après le Comité Constitutionnel) peut contester la loi en contrôlant sa constitutionnalité. Les juridictions ordinaires ; notamment administratives sont incompétentes (Théorie de la loi-écran). Les juges ordinaires peuvent seulement vérifier l’existence de la loi et le ca échéant l’interpréter.

-        Rappel N°2 : la contestation se fait a priori. La seule possibilité de contestation d’une loi promulguée résulte d’une jurisprudence stricte du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel s’est en effet reconnu compétent pour apprécier la conformité d’une loi promulguée à la Constitution à l’occasion de l’examen d’une loi nouvelle qui la modifie, la complète ou affecte son domaine (Conseil constitutionnel 85-187 DC). Une seule application de cette jurisprudence est intervenue en 1999.

b)     La supériorité d e la loi

Rappel : la supériorité de la loi sur le règlement est constante :

-        ce qui est logique pour les règlements d’exécution des lois

-        ce qui est illogique pour les règlements autonomes qui en théorie sont libérés de la contrainte de la loi. Mais comme le législateur déborde fréquemment du domaine de l’art. 34, l’autorité réglementaire se trouve liée par les dispositions législatives tant qu’elle n’a pas sollicité leur délégation (art. 37-2).

 

 

B)     Le règlement

Définition : acte administratif unilatéral à portée générale et impersonnelle ; il est identique à la loi dont il ne se distingue que par l’organe qui l’a édicté au plan formel.

 

a)     Les titulaires du pouvoir réglementaire

1. Le Président de la République et le Premier ministre

-        L’art. 21 : le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire sous réserve des dispositions de l’article 13 ; lequel donne compétence au Président de la République pour signer les décrets en Conseil des Ministres. Donc le Premier ministre est le titulaire de principe du pouvoir réglementaire, le Président de la République n’a qu’une compétence d’attribution.

-        Trois difficultés :

- Que faut-il entendre par décret délibéré en C des Ministres ?

La difficulté est la suivante : la délibération doit-elle être prévue par un texte ou simplement dépendre de la volonté du Président de la République ? La réponse du Conseil d'Etat a varié. Selon le dernier état de sa jurisprudence, seul importe qu’il y ait eu passage du texte en Conseil de Ministres (Conseil d'Etat Ass 10 septembre 1992, Meyet). Cette solution libérale favorise évidemment le Président de la République aux dépens du Premier ministre. La situation est d’autant plus favorable au Président de la République que selon le principe de parallélisme des compétences le Président de la République peut seul modifier ou abroger les textes réglementaires qu’il a fait adopter en Conseil des Ministres (Conseil d'Etat 27 avril 1994 Allamigeon)

Rappel : selon le principe de parallélisme des compétences, l’organe qui abroge un acte doit en être aussi l’auteur. Enfin, la compétence du Premier ministre n’est rétablie que si le décret pris en Conseil des Ministres lui attribue le pouvoir de le modifier (Conseil d'Etat 9 septembre 1996, Ministre de la Défense c- Collas).

- Que se passe-t-il lorsque le Président de la République signe un décret réglementaire alors que le C des M n’a pas siégé ?

Normalement le décret devrait être annulé pour incompétence de son auteur. Mais le Conseil d'Etat préfère requalifier le décret comme émanant du Premier ministre ; ce qui est rendu possible du fait que selon l’article 19 les décrets du Président de la République doivent être contresignés par le Premier ministre. (Conseil d'Etat 27 avril 1962 Sicard). Dès lors la signature du Président de la République est neutralisée et le décret est légalisé.

Encore faut-il que les ministres responsables qui doivent contresigner les décrets du Président de la République (art. 21) soient aussi les ministres chargés de l’exécution qui doivent contresigner les décrets du Premier ministre (art. 22) !  Si c’est le cas, le décret signé par le Président de la République peut être considéré comme légal car assimilable à un décret signé par le Premier ministre. Dans le cas contraire, il reste illégal car affecté d’un vice de forme.

- Le Pouvoir réglementaire est-il fondé seulement sur les articles 37 et 21 ?

Non car s’ajoute aux pouvoirs réglementaires autonome et d’exécution des lois un pouvoir réglementaire de police sans base textuelle explicite. Ce dernier a été initialement confié sous la 3e République au Chef d’Etat (Conseil d'Etat 8 août 1919 Labonne). Il repose sur la nécessité de pourvoir par des mesures adaptées au maintien de l’ordre public sur l’ensemble du territoire national ; cela alors qu’aucune loi n’aurait habilité le pouvoir exécutif à intervenir. Certes la Constitution actuelle semble avoir délimité le pouvoir réglementaire en son entier. Mais la sauvegarde de l’ordre public n’a pas été prévue ; et il est exclu que le Parlement la prenne en charge car une prise de décision rapide est nécessaire.  Aujourd’hui, c’est au Premier ministre que les juridictions administratives confient ce pouvoir réglementaire spécifique ; cela sans le rattacher à une disposition constitutionnelle spécifique (Conseil d'Etat 17 février 1978, Association dite « Comité pour léguer l’esprit de la résistance »). Idem pour le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel 2000-434 du 20 juillet 2000).

 

2. Les ministres :

La Constitution ne donne pas aux ministres un pouvoir réglementaire à l’échelon national. Cependant, ils peuvent exercer ce pouvoir de manière indirecte :

-        Par délégation : l’art. 21 autorise le Premier ministre à déléguer aux autres membres du gouvernement certains de ses pouvoirs dont le pouvoir réglementaire. Une loi peut aussi habiliter un ministre à exercer un pouvoir réglementaire.

-        En tant que chefs de service : comme tout chef de service intégré à l'administration, un ministre dispose d’un pouvoir réglementaire limité à l’édiction des mesures nécessaires au bon fonctionnement des services placés sous son autorité (Conseil d'Etat 7 février 1936, Jamart). De telles mesures peuvent permettre de réglementer la situation des agents de service notamment quant à l’exercice du droit de grève (Conseil d'Etat 7 juillet 1950 Dehaene).

-        Par l’intermédiaire de directives : il s’agit d’un pouvoir par ou quasi réglementaire. Il consiste à formuler à l’intention des subordonnés des principes d’action dans le but d’uniformiser leurs pratiques sur certains textes (Conseil d'Etat, 11 décembre 1970, Crédit foncier de France). Ces directives sont générales et opposables aux administrés. Mais elles ne lient pas les autorités administratives qui peuvent s’en écarter pour des raisons d’espèce. De ce point de vue, elles se rapprochent d’actes non décisoires comme les circulaires et les recommandations.

 

3 les autorités administratives indépendantes :

 Il s’agit d’autorités qui n’ont pas la personnalité morale mais sont seulement placées en dehors de la hiérarchie administrative. Elles sont chargées de faire respecter les règles du jeu dans un certain secteur : la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés 1978), le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel 1989), l’ART (autorité de régulation des télécommunications 1996)…

Le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité de l’attribution par la loi à ces autorités d’un pouvoir réglementaire ; cela bien que la Constitution définisse de façon exhaustive les titulaires du pouvoir réglementaire et que la Séparation des pouvoirs interdit au pouvoir législatif de s’immiscer dans la désignation des titulaires du pouvoir réglementaire. Pour le Conseil, les articles 13 et 21 ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité autre que le Premier ministre le pouvoir de mettre en œuvre une loi à condition que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu (Conseil constitutionnel 88-248 du 17 janvier 1989).

 

4       Les titulaires au plan local :

Distinguons entre autorités déconcentrées et décentralisées :

-        Déconcentrées : les préfets et les sous-préfets disposent du pouvoir réglementaire dans les mêmes conditions que les ministres. Ils l’exercent en cas d’habilitation émanant du Premier ministre ou du législateur ou comme tout chef de service à l’égard des services déconcentrés de l’Etat placés sous leur autorité (Conseil d'Etat sect. 7 février 1936 Jamart). Les préfets sont également dotés d’un pouvoir de police administration générale notamment réglementaire dépassant le ressort d’une seule commune de leur département.

-        Décentralisées : l’art. 72 de la Constitution prévoit que les collectivités locales s’administrent librement par des conseils élus. Il est difficile d’en déduire qu’elles disposent d’un pouvoir réglementaire initial puisque cela impliquerait qu’il soit soustrait au respect de la réglementation nationale élaborée par le Premier ministre : une telle solution signifierait que nous sommes dans un Etat fédéral. Mais les collectivités peuvent bénéficier d’un pouvoir réglementaire en tant que chef de service et par délégation du législateur. Mais dans ce dernier cas, les exigences posées par le Conseil constitutionnel à propos des autorités administratives indépendantes s’imposent. Enfin en dehors de toute habilitation législative, les juridictions administratives admettent que les collectivités peuvent préciser les modalités d’application d’une disposition législative inapplicable directement et n’ayant pas renvoyé à un décret d’application.  Le silence du législateur est considéré comme une habilitation implicite sans doute fondée sur l’art. 72 de la Constitution (Conseil d'Etat 13 février 1985 Syndicat communautaire d’aménagement de l’agglomération nouvelle de Cergy-Pontoise).

 

5       Les personnes privées :

Elles peuvent bénéficier d’un pouvoir réglementaire second soumis au respect des règlements édictés par les titulaires constitutionnels de ce pouvoir. Elles doivent gérer un SERVICE PUBLIC (ordres professionnels, fédérations sportives…) et être dotées de prérogatives de puissance publique.

 

b)    L’autorité des actes réglementaires

- Les règlements sont les seuls parmi les actes administratifs à pouvoir prétendre à la qualité de sources de droit. Cela parce qu’ils introduisent une modification de l’ordonnancement juridique. Ils ajoutent une règle nouvelle ou modifient une règle ancienne. Ce n’est pas le cas des :

-        Contrats administratifs : les droits nés d’un contrat ne lient que les seules parties sans modifier les règles de droit.

-        Actes administratifs individuels : ils permettent seulement de concrétiser le droit ou de l’appliquer à une situation ou une personne.

- Les règlements s’imposent unilatéralement à leurs destinataires (les administrés) et lient les autorités qui les ont édictées.

- Les règlements sont soumis à une hiérarchie :

-        Organique : les actes réglementaires pris par des autorités inférieures doivent être conformes aux actes réglementaire s pris par des autorités hiérarchiquement supérieures.

-        Formelle : les actes pris selon une procédure solennelle s’imposent aux actes pris selon une procédure moins solennelle. Par exemple, parmi les actes du Premier ministre, les décrets pris après avis du Conseil d'Etat s’imposent aux décrets simples.

Outre les actes réglementaires supérieurs, les règlements doivent respecter les autres normes composant le bloc de légalité. Ce respect est sanctionné de deux façons :

-        l’annulation du règlement illégal au moyen d’un REP exercé devant les juridictions administratives. Le délai est de 2 mois à compter de la publication de l’acte.

la déclaration d’illégalité après une contestation de sa légalité par voie d’exception. L’exception d’illégalité est perpétuelle.