COURS dO. CAMY. À NE PAS DIFFUSER !
2ème sous-partie Les sources externes Chapitre 1 Les normes internationales
La masse des normes internationales représente maintenant 17% des règles
composant lordre juridique français. Cette part augmente puisque
depuis 1992 lUnion européenne introduit plus de normes que le gouvernement
français.
Pour autant, ces normes nentrent pas directement dans lordre juridique
interne pour devenir source du droit administratif ; la médiation de
la Constitution reste nécessaire.
A. La notion de normes internationales
Définition : toute norme juridique issue en partie dun organe étranger
(incluant un élément dextranéité organique).
Origine : elle résulte dune négociation puis dun accord
entre autorité française et étrangère.
Typologie : on distingue :
- Les traités, conventions et accords internationaux
- Le droit dérivé : les actes émanant dorganisations
internationales investies du pouvoir dédicter des mesures simposant
aux Etats reconnaissant ces institutions. Par exemple dans le cas de lUnion
européenne, le droit dérivé comporte les règlements
directement applicables dans tout Etat membre (art 249-2 du traité de
Rome) et les directives communautaires liant les Etats membres quant au résultat
à atteindre (art. 249-3).
- Les « règles du droit public international » auxquelles
la France se conforme par le biais du Préambule de 1946. Le statut de
la Cour de justice internationale les définit comme les principes du
droit reconnus par les Nations civilisées.
B. La notion de source internationale
a) la contradiction entre les points de vue du droit international et interne.
- Du point de vue du droit international, les normes internationales sont en
situation de supériorité par rapport au droit interne. Elles sont
donc une source de droit directe pour le droit constitutionnel et le droit administratif.
(CPJI Avis 4 février 1932 « Un Etat ne saurait invoquer vis-à-vis
dun autre Etat sa propre Constitution pour se soustraire aux obligations
que lui imposent le droit international
».
CJCE 17 décembre 1970, aff. 11/70, Internationale Handelsgesellschaft
« le droit né du traité, issu dune source autonome,
ne pourrait, se voir opposer judiciairement des règles de droit national,
quelles quelles soient
»).
- Du point de vue du droit interne, la suprématie appartient à
la Constitution et donc lintégration des normes internationales
passe nécessairement par une médiation de la Constitution.
Cest le cas en France où la supériorité des traités
par rapport aux lois est légitimée par larticle 55 de la
Constitution selon lequel les « traités et accords régulièrement
ratifiés ou approuvés ont dès leur publication une autorité
supérieure aux lois ». Quant à la Constitution, en tant
que norme suprême au plan interne elle nest pas susceptible dêtre
remise en cause par lexistence des normes internationales. Cf. Conseil
dÉtat Sarran 30 octobre 1998 : « la suprématie conférée
aux engagements internationaux par larticle 55 de la Constitution ne sapplique
pas dans lordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle »
ou plus récemment la décision du Conseil constitutionnel n°2004-496
du 10 juin 2004 relative à la loi pour la confiance dans léconomie
numérique : « la transposition dune directive communautaire
résulte dune exigence constitutionnelle (
) » prévue
à lart. 88-1.
Cette opposition de points de vue est logique. Elle sexplique par lexistence
de deux ordres juridiques, international et interne, hétérogènes,
ayant leurs propres procédures délaboration et d effectuation.
Ainsi, le droit international doit affirmer sa supériorité mais
il nest pas en situation de la faire prévaloir lui-même ;
tandis que le droit interne ne peut quaffirmer une hiérarchie interne
faisant dépendre le rang et leffectivité du droit international
de la Constitution elle-même.
Conclusion : le droit administratif faisant partie du droit interne et étant
considéré ici du point de vue du droit interne, la source internationale
nest pas pour lui une source directe de légalité.
b) Les conditions de lintégration des normes internationales dans
lordre interne.
Pour être sources du droit administratif, les normes internationales doivent
satisfaire à certaines conditions prévues par la Constitution
ou découlant de leur nature même :
- En vertu de larticle 55, un traité doit, pour avoir autorité,
être signé, ratifié et publié. Cela est vérifié
le Conseil d'Etat.
- En vertu de larticle 55, lautorité des traités est
subordonnée à leur application réciproque par lautre
partie. Ici le Conseil d'Etat se réfère à lavis du
ministre.
- Une norme internationale doit avoir un effet direct pour les particuliers.
Le Conseil d'Etat le vérifiera au regard de son objet et de sa précision.
Il y là un risque de conflit avec la Cour de Cassation.
C Le respect des normes internationales en droit administratif
a) Historique
- Avant 1946 : les normes internationales intervenues entre la France et les
Etats étrangers ont toujours eu force obligatoire à légard
de lEtat français. Mais la méconnaissance par l'administration
des stipulations convenues était considérée comme nintéressant
que les relations diplomatiques de lEtat français, auquel les Etats
étrangers pouvaient adresser des réclamations et demander des
réparations. Cétait une question de responsabilité
internationale de la France. Un administré nétait donc pas
en mesure de demande lannulation dun acte administratif contraire
à une norme internationale.
- Après 1946 : la Constitution de 1946 notamment dans son article 26
donne « force de loi » aux traités et accords régulièrement
introduits dans lordre juridique interne. Le Conseil dÉtat
a accepté en conséquence dapprécier la conformité
dun décret dextradition à une convention conclue par
la France avec un autre Etat relativement à lextradition (Conseil
dÉtat Ass. 3Omai 1952 Dame Kirwood). La solution acquise sous la
4ème République est reprise sous la 5ème République
avec larticle 55 (Conseil d'Etat Ass. 19 avril 1991 Belgacem). Depuis,
il est devenu usuel que les juridictions administratives annulent des actes
administratifs pour contrariété avec des normes internationales.
b) La spécificité du droit communautaire dérivé
Dans le cadre des Communautés européennes, le conseil des ministres
et la commission détiennent depuis 1959 un pouvoir législatif
qui les autorise à prendre des mesures applicables dans les Etats membres
sans être soumises à approbation ou ratification. Ce pouvoir a
longtemps été légitimé par le Préambule de
la Constitution de 1946 qui prévoit en effet que, sous réserve
de réciprocité, la France peut consentir à certaines limitations
de souveraineté. Mais le traité de Maastricht a prévu des
extensions des compétences communautaires importantes qui ont conduit
le Conseil constitutionnel à exiger que la Constitution soit révisée
(décision du 7 février 1992). En conséquence un titre nouveau,
le titre XV a été inséré dans la Constitution par
la loi de révision du 25 juin 1992 (titre modifié en 1993, 1999
et 2003) qui permet les transferts de compétence nécessaires à
létablissement de lunion économique et monétaire,
à la libre circulation des personnes ou encore à la mise en place
dun mandat darrêt européen.
Le droit communautaire dérivé comprend notamment :
- Les règlements communautaires : ils sont obligatoires « dans
tous leurs éléments » et ont un « effet direct »dans
les Etats sans aucune intervention de ces derniers (article 249 al2 du Traité
de Rome CE). Leur publication au Journal Officiel des Communautés suffit
à provoquer leur entrée en vigueur. Tout administré peut
se prévaloir immédiatement devant l'administration et devant le
juge de leurs dispositions (notamment à lappui dun REP).
- Les directives communautaires : elles ne fixent que des objectifs aux Etats
membres qui sont tenus de les réaliser par les moyens de leur choix.
Selon la formule du Conseil dÉtat, les autorités nationales
sont « tenues dadapter la législation et la réglementation
des Etats membres (
) » mais elles « restent seules compétentes
pour décider de la forme à donner à lexécution
des directives (
) ». Dès lors, un acte réglementaire
interne qui est incompatible avec les objectifs définis par les directives
est entaché dillégalité (Conseil d'Etat 10 mars 1999
Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire).
Trois solutions découlent de ce principe :
1. LEtat est tenu de ne pas « laisser subsister des dispositions
réglementaires qui ne seraient plus compatibles avec les objectifs définis
par les directives » ; elles deviennent en effet illégales. Le
refus dabroger des règlements internes antérieurement édictés
et devenus incompatibles avec une directive est annulable par le juge administratif
(Conseil d'Etat Ass 3 février 1989 Compagnie Alitalia).
2. LEtat est tenu de sabstenir dédicter des règlements
internes qui ne seraient pas en harmonie avec les objectifs déterminés
par les directives. Sil arrivait que de tels règlements soient
édictés, tout administré pourrait demander leur annulation
au juge administratif.
3. Les administrés ne peuvent obtenir lannulation de décisions
individuelles même contraires à une directive si leur recours est
exclusivement fondé sur la contrariété de ces décisions
à la directive. Cela traduit le fait que les effets des directives sont
subordonnés à lexistence dune réglementation
nationale. Autrement dit, la directive na pas deffet direct à
légard des particuliers (Conseil d'Etat Ass 22 décembre
1978 Ministre de lintérieur c. Cohn-Bendit). Il faut noter que
cette solution est en contradiction avec la position de la Cour de justice des
Communautés européennes qui reconnaît aux particuliers le
droit dinvoquer les directives « inconditionnelles et suffisamment
précises » assimilées dans ce cas à des règlements
communautaires (CJCE 4 décembre 1974 Van Duyn). Cette contradiction sexplique
par le fait que le Traité de Rome nest pas explicite sur ce point.
Du coup, le Conseil dÉtat linterprète de façon
stricte tandis que la Cour préfère une interprétation large
qui accroît la part du droit communautaire directement applicable. Cette
attitude de la Cour a amené les autorités européennes à
produire des directives de plus en plus précises bénéficiant
alors dune applicabilité directe non prévue par le traité
de Rome mais accordée par la Cour.
Il reste que la portée restrictive de la jurisprudence Cohn-Bendit est
atténuée par deux facteurs :
larrêt indique lui-même le moyen de contourner linterdiction
dinvoquer une directive : il suffit aux requérants de mettre en
cause par voie dexception la compatibilité dun acte réglementaire
interne à une directive. Cela permet dobtenir lannulation
de la décision individuelle prise sous le fondement de lacte réglementaire
interne (Conseil d'Etat 8 juillet 1991 Palazzi).
Lorsquune décision individuelle est prise dans une matière
régie par une directive mais dépourvue de réglementation
interne, les juridictions administratives acceptent que le requérant
fasse valoir lincompatibilité du droit interne par son inexistence
avec la directive en cause (Conseil d'Etat Ass 6 février 1998, Tête).
Nota : le Conseil constitutionnel dans une jurisprudence récente (cf.
décision du Conseil constitutionnel n°2004-496 du 10 juin 2004 relative
à la loi pour la confiance dans léconomie numérique)
a déterminé le statut dune directive selon lui : le Conseil
constitutionnel a rappelé quil nest pas compétent
pour contrôler la constitutionnalité dune directive. Mais
il se reconnaît comme compétent pour contrôler le respect
de lart. 88-1 qui exprime selon lui lexigence constitutionnelle
de transposer une directive en droit interne. Il vérifie ainsi si une
loi de transposition tire bien les « conséquences nécessaires
des dispositions inconditionnelles et précises de la directive ».
Il reste que lexigence de transposition rencontre une limite : en cas
dune « disposition expresse » de la directive contraire à
la Constitution. Cela semble exclure les principes jurisprudentiels dégagés
par lui. c) Lécran de la Constitution
En cas de contradiction entre la norme internationale et la Constitution, quelle
norme le juge administratif doit-il privilégier ? Normalement cette question
ne devrait pas se poser car la Constitution organise un contrôle préventif
de la compatibilité des traités et de la Constitution à
travers larticle 54. Cet article prévoit que, lorsquune clause
dun traité est contraire à la Constitution, lautorisation
de la ratifier ne peut intervenir quaprès révision de la
Constitution.
Cependant, cette question sest posée dans de rares cas. À
ces occasions, le Conseil dÉtat a toujours privilégié
la Constitution. Pour autant, il naffirme pas explicitement la supériorité
de la Constitution sur les normes internationales. Ce silence est normal.
- Dune part, la Constitution elle-même naffirme pas une telle
supériorité. Larticle 55 ne prévoit que la supériorité
des traités et accords régulièrement ratifiés sur
la loi. Quant à larticle 54, il prévoit seulement une obligation
de mise en compatibilité de la Constitution par rapport aux traités.
Or cette obligation ne résulte pas de lexistence dune hiérarchie
entre traité et Constitution. Elle découle seulement de la nécessité
pour un Etat de ne pas modifier unilatéralement un traité. Cela
implique quon modifie seulement la Constitution, acte interne.
En réalité, la Constitution ne peut affirmer la supériorité
des normes internationales sur elle-même et en organiser les effets. Cest
au droit international à le faire. Or distinct du droit interne, il ne
peut logiquement le faire. En conséquence, la Constitution peut seulement
assurer la médiation ou la réception des normes internationales
pour les normes qui lui sont inférieures comme la loi.
- Dautre part, le Conseil dÉtat en tant que juridiction interne
doit faire prévaloir la norme suprême en droit interne quest
la Constitution. Les cas où le Conseil dÉtat a privilégié
la Constitution sont les suivants :
- En 1996 dans une décision Koné (Conseil d'Etat Ass 3 juillet
1996), le Conseil d'Etat a interprété un traité relatif
au droit des extraditions. Il a formulé un PFRLR à valeur constitutionnelle
interdisant dextrader un étranger poursuivi dans un but politique.
Le texte international a été ainsi neutralisé parce que
lu conformément à la Constitution.
- Avec larrêt Sarran (Conseil d'Etat, Ass 30 octobre 1998), le Conseil
dÉtat écarte un moyen conduisant à faire du traité
une norme supérieure de référence.
En définitive, lacte interne conforme à la Constitution
mais suspect de contrariété au traité (arrêt Saran
de 1998) ne pourra pas plus être sanctionné. Mais, inversement
lacte interne conforme au traité mais suspect de contrariété
à la Constitution (arrêt Groupement de défense des porteurs
de titres russes de 1999) ne pourra pas plus être sanctionné.
d) Lécran de la loi
En cas de contradiction entre la norme internationale et la loi, quelle norme
la juridiction administrative doit-elle privilégier ?
La réponse peut paraître simple puisque larticle 55 attribue
une supériorité aux traités sur la loi (rien nest
dit sur la coutume internationale ; doù on peut en déduire
que cette suprématie ne profite pas à la coutume internationale
Conseil d'Etat Ass. 6 juin 1997 Aquarone).
La portée de cette supériorité est cependant circonscrite
en raison de divers facteurs : dabord, cette suprématie nest
pas sanctionnée par le Conseil constitutionnel ; ce qui laisse le problème
entier pour le Conseil dÉtat. Dautre part, le Conseil dÉtat
ne saurait se prononcer sur la supériorité du traité par
rapport à la loi puisquil doit être le garant de cette loi.
Il en a déduit pendant longtemps que la loi faisait écran par
rapport au traité, lempêchant de sanctionner la supériorité
du traité sur la loi.
1° Lattitude du Conseil constitutionnel
Pour le Conseil constitutionnel, une loi contraire à un traité
nest pas pour autant contraire à la Constitution (Conseil constitutionnel
74-54 15 janvier 1975). Il refuse en conséquence dassurer le respect
de larticle 55 dans le cadre du contrôle de la conformité
des lois à la Constitution (art. 61-al2.). Une seule atténuation
doit être mentionnée pour ce qui concerne le droit communautaire
constitutionnalisé par le titre XV de la Constitution à la suite
de la révision du 25 juin 1992 ; un titre qui a permis dinsérer
les normes communautaires dans les normes de référence. Cela a
justifié un contrôle d :
une loi organique prise sur le fondement de larticle 88-3 relatif
à lexercice par les citoyens de lUnion européenne
résidant en France du droit de vote et déligibilité
aux élections municipales. Selon le Conseil constitutionnel, lart.
88-3 « a expressément subordonné la constitutionnalité
de la loi organique prévue pour son application à sa conformité
aux normes communautaires ». Dans le cadre du contrôle obligatoire
des lois organiques, le Conseil constitutionnel a donc vérifié
si une loi organique respectait un article 8 B du traité instituant la
Communauté européenne, relatif au droit de vote et déligibilité
des citoyens européens et une directive prise par le Conseil de lUnion
européenne pour la mise en uvre de ce droit. (Cf. décision
n° 98-400 du 20 mai 1998).
une loi ordinaire transposant une directive sur le commerce électronique.
(cf. décision du Conseil constitutionnel n°2004-496 du 10 juin 2004
relative à la loi pour la confiance dans léconomie numérique).
Le Conseil constitutionnel a donc vérifié si une loi de transposition
tire bien les « conséquences nécessaires des dispositions
inconditionnelles et précises » dune directive sur le fondement
de lart. 88-1 relatif à lexigence constitutionnelle de participation
à lUnion européenne (donc de transposition des directives
européennes). Mas ce contrôle ne serait pas possible au cas où
une directive serait contraire à une « disposition expresse »
de la Constitution. 2° Lattitude du Conseil dÉtat
Jusquen 1989, la suprématie du traité sur la loi na
pas été non plus sanctionnée par le Conseil dÉtat.
Pourquoi ?
Le problème est apparu seulement en ce qui concerne un traité
antérieur à la loi. Pour un traité postérieur, les
juridictions administratives ont pu admettre sans difficulté quun
tel traité abroge une loi parce quil nétait pas besoin
de le considérer comme supérieur par rapport à elle. En
effet, si on admet que le traité a au moins valeur de loi, alors comme
tout loi postérieure, il peut abroger une loi existante.
Le refus de départ
Les juridictions administratives ont dabord exclu de sanctionner la supériorité
des traités sur des lois postérieures (Conseil d'Etat 1er mars
1968 Syndicat général des fabricants de semoules de France). Pourquoi
? Deux arguments ont été avancés :
- La supériorité des normes constitutionnelles et internationales
nautorise pas pour autant le Conseil dÉtat à écarter
la loi dont il est le garant et qui fait donc écran.
- Vérifier le respect dune norme internationale par la loi constituerait
un contrôle de constitutionnalité des lois puisque cela revient
à faire respecter un article de la Constitution : larticle 55.
Or seul le Conseil constitutionnel peut exercer un tel contrôle.
En 1975, le Conseil constitutionnel refuse à son tour de veiller au respect
des traités par les lois [Conseil constitutionnel décision n°74-54
15 janvier 1975] en précisant quil ne sagit pas dun
contrôle de constitutionnalité : une loi contraire à un
traité nest pas forcément contraire à la Constitution.
Alors le Conseil d'Etat a recours à la seule théorie de la loi
écran (Conseil d'Etat Ass 22 octobre 1979, Union démocratique
du travail).
Mais de son côté, la Cour de Cassation interprète cette
décision du Conseil constitutionnel comme lhabilitant à
effectuer un contrôle des lois aux traités (Cass 24 mai 1975 Administration
des Douanes c- Société des cafés J.Vabre).
Dès lors, le Conseil d'Etat est en contradiction avec la Cour de Cassation.
De plus, sa position va être critiquée par la CJCE qui déclare
que les juges nationaux doivent appliquer intégralement le droit communautaire
« en laissant inappliquée toute disposition éventuellement
contraire à la loi nationale, que celle-ci soit antérieure ou
postérieure à la règle communautaire » (CJCE 9 mars
1978, Administration des finances de lEtat c- SA Simmenthal).
le revirement
Le revirement très attendu par la doctrine a lieu avec larrêt
Nicolo (Conseil d'Etat Ass 20 octobre 1989). Le Conseil d'Etat accepte de vérifier
la compatibilité dune loi électorale avec les dispositions
du Traité de Rome. Il juge pour la première fois recevable un
moyen quil aurait jugé irrecevable selon la jurisprudence antérieure
: soit ici la question de la conformité de la loi du 7 juillet 19777
avec le Traité de Rome du 25 mars 1957 (antérieur à la
loi).
Pour autant, le Conseil d'Etat ne se prononce pas sur la supériorité
du traité par rapport à la loi. Il semble plutôt que le
Conseil d'Etat ait accepté dêtre juge de la conformité
des lois par rapport au principe constitutionnel de larticle 55 selon
lequel le traité est supérieur à la loi. Le Conseil d'Etat
comme l'avait admis la Cour de Cassation considère que larticle
55 lhabilite à écarter pour cause de contrariété
à la Constitution des lois contraires à des traités antérieurs.
Ce contrôle a une portée très large :
- Il profite aux normes internationales dorigine non communautaire comme
la Convention européenne des droits de lHomme (Conseil d'Etat Ass
21 décembre 1990, Confédération européenne de sauvegarde
des droits de lhomme). Cela amène le juge administratif à
exercer un contrôle des lois par rapport aux libertés fondamentales
très proche du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel
par rapport au Préambule de 1958. Avec un avantage considérable
: il sagit alors dun contrôle plus systématique car
effectué a posteriori et ouvert aux citoyens. Dès lors le contrôle
de conventionnalité vient concurrencer le contrôle de constitutionnalité.
- Les lois sont soumises au respect tant du droit international originaire que
du droit dérivé. Pour le droit communautaire, cela concerne les
règlements (Conseil d'Etat 24 septembre 1990, Boisdet), et les directives
(Conseil d'Etat SA Rothmans International France). La seule limite porte sur
la coutume internationale qui nest pas visée selon le Conseil d'Etat
par larticle 55.
Quelles ont été les conséquences de contrôle ?
- Le gouvernement par dérogation au principe de compétence liée
en ce qui concerne lexécution des lois doit refuser de prendre
des mesures réglementaires dapplication dune loi contraire
à une norme internationale (Conseil d'Etat 24 février 1999, Association
des patients de la médecine dorientation anthroposophique).
- LEtat voit sa responsabilité engagée en cas de violation
du droit international et la faute fait lobjet dune indemnisation.
Cette jurisprudence a été consacrée seulement en matière
de droit communautaire (Conseil d'Etat 28 février 1992, Société
Arizona Tobacco Products). Le fondement de cette responsabilité est délicat
à déterminer. En effet, il est traditionnel de considérer
que le législateur ne peut mal faire : ce qui exclut la responsabilité
pour faute du fait des lois au profit dune responsabilité sans
faute. Le Conseil d'Etat pour ne pas entamer le dogme de linfaillibilité
du législateur a imputé la faute au décret dapplication
de la loi alors même que le pouvoir réglementaire sest borné
à lappliquer. Mais déjà une Cour administrative dappel
est allée plus loin en admettant la responsabilité pour faute
du législateur.
Pour terminer, il faut rappeler que le juge administratif dispose de moyens
pour minimiser, sinon supprimer le conflit existant entre traité et loi
: il peut ainsi délimiter les champs respectifs de la loi et du traité.
Si les champs ne se superposent pas, le conflit est évité (Conseil
d'Etat 28 juillet 1999, Majhoub) ; en cas contraire, le conflit se limite à
la seule partie commune aux deux champs. Il peut aussi interpréter les
textes en désaccord pour les harmoniser. Cet effort dinterprétation
est spécifique pour ce qui concerne les traités. Cest ce
que nous allons voir. D Linterprétation des normes internationales
en droit administratif a) Les juridictions administratives ont pendant longtemps
refusé dinterpréter les normes internationales. Elles préféraient
surseoir à statuer et renvoyer la difficulté au ministre des Affaires
étrangères. Un revirement de jurisprudence eut lieu avec larrêt
GISTI (29 juin 1990) ; un revirement bienvenu car la France a été
condamnée pour sa jurisprudence passée par la Cour européenne
des droit de lhomme (CEDH 24 novembre 1994, Beaumartin c- France). La
Cour a considéré quil y avait violation du droit à
un procès équitable (Art 6 §1 de la Convention) du fait que
lEtat pouvait, grâce à linterprétation donnée
par le ministre, être en position favorable. Depuis lors, les juridictions
administratives se reconnaissent compétentes pour interpréter
elles-mêmes les traités ; ce qui nexclut pas quelles
prennent en compte comme simple avis les interprétations du ministre
des affaires étrangères.
b) Linterprétation des dispositions communautaires fait lobjet
dune procédure spécifique faisant intervenir la CJCE. En
vertu de larticle 234 du Traité de Rome, la CJCE est compétente
pour statuer à titre préjudiciel sur linterprétation
du traité ainsi que sur linterprétation des actes pris par
les institutions de la Communauté. Ce renvoi est obligatoire pour les
juridictions suprêmes comme le Conseil d'Etat. Ce dernier renvoie seulement
sil y a une difficulté sérieuse ou si lacte nest
pas clair. Après avoir abusé de la notion dacte clair (en
retenant par exemple une interprétation contraire à celle de la
CJCE dans laffaire Cohn-Bendit), le Conseil dÉtat ne répugne
plus maintenant à renvoyer des problèmes dinterprétation.